Fondateur de l’Ouvroir de cartographie potentielle (Oucarpo), Guillaume Monsaingeon est l’auteur d’un livre catalogue sur l’exposition : «Villissima ! Des artistes et des villes» (1), à l’affiche en ce moment à l’Hôtel des arts de Toulon. Une joyeuse déambulation dans les représentations de la ville par des artistes contemporains.
Quels ont été les axes de réflexion dans l’écriture de ce livre catalogue ?
L’essai reprend l’un des principaux angles de l’exposition : quelle est la place du livre et de l’écriture dans la ville ? Quelles représentations de la ville en littérature, en poésie ? Et quelles traces d’écriture dans nos cités ? Je propose parfois aux visiteurs de chercher, en sortant de l’exposition, une zone de la ville vierge de toute écriture. C’est presque impossible !
Une anthologie comme une promenade ?
Aujourd’hui, tout le monde marche, tout le monde fait de la cartographie. Comme mon point d’attache est justement la cartographie, je me suis toujours senti très proche des marcheurs, des arpenteurs, même s’ils ne sont pas tous cartographes. J’avais envie de dire que la ville n’est pas seulement un espace arpenté, mais aussi un espace écrit. C’est également une promenade autour de ma bibliothèque, à travers les livres. Une balade livresque très subjective.
Et vous empruntez le détour par la calligraphie ?
En effet, beaucoup d'œuvres de plasticiens représentent la ville à travers l'écriture. C'est ce que j'appelle la ville faite à la main par opposition à la ville connectée, la smart city. Le numérique n'épuise pas complètement notre rapport à la ville. L'un des artistes exposés, Alain Declercq, a dessiné à la main des plans de ville, sur les pages écrites, imprimées, de romans populaires. C'était au départ un projet de film sur l'espionnage et les services secrets. Pour contacter les différents intervenants du film, il leur envoyait un livre à un dollar où était dessiné le plan du quartier où il leur donnait rendez-vous. Chaque dessin indique un lieu dans la ville, l'heure et le jour. Un autre artiste, Nicolas Aiello, donne la ville à voir à la manière d'un sismographe. En marchant dans la ville, il prend une infinité de photos qu'il colle les unes à la suite des autres comme sur des lignes d'écriture.
On se repère aussi dans une ville grâce aux panneaux avec le nom des rues…
L'artiste qui illustre le mieux cet aspect graphique est le Studio Bruno, de Venise. En 1931, Mussolini avait imposé à toutes les villes italiennes de baptiser une de leurs artères «Via Roma». Cela a donné l'idée à l'artiste de faire le plan d'une ville avec tous les noms de rues les plus fréquents. Mais à la façon de Francis Galton, qui, à la fin du XIXe siècle, créait des portraits composites, à partir de photos anthropologiques. Il superposait les photos de plusieurs membres de la même famille, ou de plusieurs assassins, afin d'obtenir un portrait type. Studio Brunoa appliqué cette méthode aux villes italiennes. Placenames constitue une sorte de portrait type de la ville italienne, avec sa via Roma, sa via Garibaldi… c'est l'idée de la ville italienne, une ville qui n'existe pas, mais aussi toute la psyché nationale dessinée sur un plan, comme un surmoi toponymique.
A l’heure du tout numérique (même pour la presse), une artiste représente la ville à partir d’une page de papier journal…
En effet, Pat Shannon a découpé la ville dans la page «annonces immobilières» d’un journal américain. Elle a caviardé tout ce qui était texte, et elle redresse tous les immeubles ou maisons qui ont été photographiés pour une annonce. La page du journal devient une maquette très fragile et très délicate, une miniaturisation vibrante et ténue de la ville. Elle rend la grille orthogonale des villes américaines. Encore une fois, c’est une ville qui n’existe pas, une ville imaginaire mais qui dit ce que coûte la ville, son prix : question prosaïque et brutale.
Le propre d’une ville, c’est aussi d’être envahi de messages publicitaires. Quel lien la ville entretient-elle avec la pub ?
Certaines institutions, des villes ou des régions s'affichent comme des marques en renonçant à toute identité politique. Les villes se retrouvent ainsi à se vendre, à se faire concurrence. Mais l'identité d'une ville ne peut se résumer par l'identité d'une marque. C'est un peu le propos du graphiste Ruedi Baur, avec Invasion du branding, une carte d'Europe où les villes ne sont plus représentées que par leur logo. De l'héraldique factice pour des villes logotomisées.
Comment l’écriture de la ville évolue-t-elle ?
La grande histoire de la ville a longtemps été le récit de sa fondation. Souvent mythologique ou biblique. Cela passait par des textes, des inscriptions. Ainsi, dans des villes antiques de Mésopotamie, on retrouve des briques avec une inscription : les pierres de fondation. Comme s'il fallait écrire pour fonder, légitimer ce qui allait devenir hors nature. Nous sommes en train de basculer dans un autre récit, qui est celui de la destruction de la ville. Il n'y a presque plus de villes nouvelles. Nous exposons ainsi une série de l'artiste Mathieu Pernot, Implosions, des photos de destructions à l'explosif de barres d'immeubles. Nous savons que les villes sont mortelles. On revient ainsi au mythe de Babel. La destruction comme punition, comme si les villes étaient devenues trop grandes. Nous sommes quelques milliards à vivre une condition urbaine, mais rien n'est jamais gagné. Ecrire la ville, c'est aussi tenter de lui donner du sens, de la revivifier. En cela, le livre comme l'exposition Villissima ! sont fondamentalement optimistes.
(1) Hôtel des arts de Toulon, centre d'art du département du Var. Rens. : 04 83 95 18 40 et www.hdatoulon.fr Exposition gratuite ouverte jusqu'au 27 septembre du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures.