Y a-t-il une vie après le Temps retrouvé ? Il y a trois ans, à l'automne 2022, pour le centenaire de la mort de Marcel Proust, Jean d'Ormesson créa un petit scandale - le moindre n'étant pas qu'il fut toujours vivant, bon pied bon œil, et en tête des ventes - en publiant, sous le titre du Temps relancé, une suite de 500 pages à la Recherche du Temps perdu. Ce qu'il restait de critique ne lut pas le livre, préférant généralement le célébrer ; l'université l'ignora ; le grand public l'acheta. Le Temps relancé méritait mieux. C'est une œuvre libre, enivrée par sa légèreté, pleine d'allégresse et de transgressions, peut-être la meilleure de son auteur. Rendant hommage à un roman qu'il vénérait, l'auteur ressuscite un certain nombre de ses personnages et leur donne une vie après la mort. Ainsi, Saint-Loup revient du Front et l'on devine par une formidable ellipse que Bloch, vieillard, meurt en déportation. La mort de Charlus, dans un asile sordide, au milieu des années 1920, est un autre «climax» de ce Temps relancé. Pour le reste, Jean d'Ormesson a la délicatesse de nous épargner la fin de tous les personnages qui ont survécu au roman de Proust. Quant au narrateur, il poursuit sa vie mondaine jusqu'au bout, ayant finalement renoncé, faute de génie, à créer l'œuvre qu'on avait pourtant lue. Cette contradiction narrative n'est pas le moindre charme du roman de Jean d'Ormesson.

Nous publions une lettre, inédite et malheureusement non datée, qu'il envoya à l'un de ses vieux amis, aujourd'hui décédé, dont nous avons changé le prénom, car ses héritiers ne souhaitent pas qu'il soit identifié. Cette lettre a été écrite alors que Jean d'Ormesson écrivait le livre. On ignore quand il l'a commencé, mais le fait que cet ami soit mort depuis longtemps, et aussi certains éléments de la lettre, indiquent que le projet remonte au moins aux années 1970, et qu'il a ensuite probablement dormi pendant quelques décennies. Jean d'Ormesson ne souhaite pas s'exprimer sur ce point : «Vos hypothèses sont toutes estimables, puisqu'elles entretiennent le mystère de ma longévité », a-t-il simplement répondu à Libération. Né en 1925, il aura cent ans le 16 juin. On dit qu'il prépare un recueil de sonnets.