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Histoire

Violences contre les femmes : Dr Dre fait son mea culpa (et protège son business)

Dans les colonnes du «New York Times», le rappeur américain s'est platement excusé auprès des femmes qu'il a violentées par le passé. Le moment n'est pas choisi au hasard : Dr Dre est en pleine promo d'un disque et d'un film.
Dr Dre à Boston, en 2010. (AFP)
publié le 23 août 2015 à 18h40

Les Américains ont eu la surprise de découvrir, ce week-end, à la une du quotidien The New York Times, cette étonnante phrase du rappeur Dr Dre, annonçant : «Je m'excuse auprès des femmes que j'ai blessées». Un mea-culpa aussi tardif que surprenant, car si le rappeur et businessman américain est notoirement connu pour sa brutalité passée envers la gent féminine (il fut condamné pour des faits de violence au début des années 90), il est également réputé pour soigneusement éluder la question en interview.

Cette fois, les excuses sont aussi plates que formelles : «Il y a vingt-cinq ans, explique Dre au New York Times, j'étais un jeune homme qui buvait trop, à tort et à travers, et je n'avais rien pour structurer ma vie. Cela dit, ce n'est pas une excuse pour ce que j'ai fait. Je suis marié depuis dix-neuf ans maintenant et chaque jour, je travaille à être un homme meilleur pour ma famille, cherchant, au fil de ma route, à demander conseil autour de moi. Je fais tout ce qui m'est possible de faire pour ne plus jamais ressembler à cet homme. Je m'excuse auprès des femmes que j'ai blessées. Je regrette profondément ce que j'ai fait et je sais que cela a eu des conséquences sur nos vies».

Contexte commercial crucial

Ces excuses interviennent dans un contexte commercial crucial pour le rappeur et businessman, qui aligne les succès depuis deux semaines. Straight Outta Compton, le biopic très attendu retraçant l'histoire de N.W.A, groupe de gangsta rap qu'il forma avec Eazy-E et DJ Yella en 1986, cartonne aux Etats-Unis depuis sa sortie le 14 août (selon des chiffres publiés ce dimanche, il a rapporté 26,7 millions de dollars pour sa deuxième semaine sur les écrans, portant les recettes totales à 111,4 millions de dollars, soit environ 97 millionss d'euros. En France, il sera en salles le 16 septembre). Signalons que le rappeur est à la fois le sujet du film, mais aussi son coproducteur. Par ailleurs, son album surprise, Compton, sorti le 7 août sur Apple Music et iTunes, se vend très bien. Ses ventes seraient mêmes boostées par la sortie du biopic (ajoutons qu'il est également globalement salué par la critique).

Le musicien de 50 ans, dont la marque de casques et d'écouteurs «Beats by Dr Dre» a été rachetée par Apple pour environ 2,2 milliards d'euros en 2014, peut donc continuer à se proclamer «premier milliardaire du hip-hop» : ses affaires se portent à merveille.

Seulement, voilà, la sortie du film ultramédiatisée de Straight Outta Compton a permis à des voix de s'élever : celles de femmes autrefois violentées par le rappeur et producteur. Celles qui ont parlé sont au nombre de trois. Il y a cette journaliste de hip-hop, Dee Barnes, que le chanteur a battue contre un mur en lui tenant la tête à de multiples reprises en 1991 (il a été condamné pour ces faits, relatés notamment dans cet article de l'époque du Rolling Stone). Face aux allégations de Dee Barnes, le chanteur répondit alors : «Les gens me parlent de ce truc, mais moi tu sais, si on m'emmerde, je réponds. Je l'ai fait quoi. […] Et puis d'ailleurs, c'est pas la fin du monde, non plus ; je l'ai simplement passée à travers une porte.»

«C’est une affaire de famille, tu ne portes pas plainte»

Il y a aussi la chanteuse de r'n'b, Michel’le, ancienne compagne du rappeur et mère de son fils Marcel, qu’il a également battue, et ce à plusieurs reprises ; et enfin Tairrie B, alias Theresa Murphy, une chanteuse que Dr Dre a frappée au visage lors d’une soirée post-Grammys en 1990, furieux qu’elle ait enregistré une chanson où elle l’insultait (ici, une vidéo de la fameuse chanson).

Tairrie B étant à l'époque signée sur le même label que Dre, Ruthless Records, elle raconte que le lendemain de la violente altercation, une réunion fut organisée avec des membres de N.W.A, le manager du groupe et l'un des fondateurs de Ruthless Records. Elle raconte au New York Times qu'on lui aurait dit alors : «C'est une affaire de famille, tu ne portes pas plainte». 

Toutes ces joyeusetés ont ressurgi lorsque les victimes se sont contactées, récemment, via les réseaux sociaux. Elles ont été notoirement omises dans le biopic de F. Gary Gray, malgré de nombreuses objections. Lors d'une avant-première du film, une spectatrice demanda en effet au réalisateur du film, Felix Gary Gray, la raison de l'omission de l'incident avec Dee Barnes, qui était mentionné dans les premiers scripts du film ; celui-ci répondit que la scène avait été supprimée du scénario définitif, arguant avoir voulu concentrer son propos sur le groupe, et qu'il fallait que le film serve «la narration»«Le film n'est pas censé parler d'histoires connexes» a déclaré F. Gary Gray, ajoutant : «On pourrait faire cinq films différents sur N.W.A - nous avons fait celui que nous voulions faire». (Pour information, celui-ci dure 2 h 27 min).

Dans la foulée du mea-culpa de Dre, on a pu lire ce communiqué d'Apple, qui rétière sa confiance envers celui avec qui la marque a fait affaire voici un an : «Dr Dre s'est excusé pour les erreurs qu'il a faites par le passé, et il a dit ne plus être la personne qu'il était il y a vingt-cinq ans. Nous le croyons sincère, et après avoir travaillé avec lui depuis un an et demi, nous avons toutes les raisons de croire qu'il a changé».

Quant à Michel'le, l'ex-épouse battue, elle déclare au New York Times : «Cela fait de nombreuses années que je parle des violences que j'ai subies. Mais cela n'est pas arrivé aux oreilles de grand monde jusqu'à aujourd'hui. Evoquant le film, elle conclut : «Ils ont fait revivre le passé en faisant ce film. Mais pas moi. [...] Ils racontent leur histoire, je raconte la mienne.»