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Libération
Rencontre

Alison Brie, brin de folie

Après des années de seconds rôles dans les séries télé «Mad Men» et «Community», l’actrice trentenaire campe enfin sur grand écran un personnage principal à la mesure de ses ambitions.
Alison Brie, mardi à Paris. (Photo Jérôme Bonnet)
publié le 8 septembre 2015 à 17h06

Lorsque la brune Alison Brie prend place face à nous avec ses grands yeux bleu doux écarquillés sur le monde, on se dit que c'est le moment parfait pour rencontrer l'actrice, à la lisière entre deux phases importantes de sa carrière. A 32 ans, elle laisse derrière elle une petite décennie partagée entre deux séries télé aussi marquantes qu'opposées, cultes chacune à leur manière, mais dans des rôles secondaires : nombreux sont ceux qui ont suivi assidûment la trépidante Community en même temps que la langoureuse Mad Men, et qui ont mis du temps à réaliser que les personnages respectifs d'Annie Edison et de Trudy Campbell émanaient d'une seule et même comédienne, aussi fofolle et gamine ici que vibrante et mûre là.

Mais Alison Brie n'a semblé souffrir d'aucune schizophrénie le long du voyage : «J'étais juste tellement heureuse de décrocher ces deux jobs l'un après l'autre après avoir longtemps été une jeune actrice au chômage, raconte-t-elle. Je me suis beaucoup amusée à travailler pour chacune une façon de marcher et de parler bien distincte. Les deux ambiances sur les plateaux étaient très différentes, ce qui m'a aussi aidée à différencier les rôles : sur Mad Men, on était beaucoup dans la concentration et le sérieux, avec des personnages qui disent souvent le contraire de ce qu'ils pensent, tandis que sur Community, on était plutôt en colonie de vacances éternelles, sans filtre !» Voilà comment, pendant six ans (Community a commencé en 2009, deux ans après Mad Men), Brie s'est partagée entre saillies incessantes sur la pop culture et stases mélancoliques des sixties, au rythme suivant : par épisode (ce qui signifie par semaine, au pays de la fiction sérielle tayloriste), quatre jours pour Community (son contrat principal), un pour Mad Men. Lequel était donc bien rempli.

A présent, la page télévision est tournée, les deux séries ayant pris fin il y a quelques mois. Avec Jamais entre amis, voilà Alison Brie à l'assaut du cinéma (lire ci-contre), dans le rôle principal d'une comédie romantique, genre dont elle est très friande. Si on ne la freinait pas, et on a du mal, on aurait pu passer les quarante minutes de l'entrevue à établir un comparatif entre The Holiday, avec Cameron Diaz, et Hitch, avec Will Smith. A la voir s'investir sans s'économiser dans la promo de ce film réjouissant (Deauville-Paris-New York en trois jours), il n'est presque pas besoin d'attendre sa confession sans pincettes : c'est là, sur le grand écran, que se trouve désormais sa priorité, même si on lui propose encore beaucoup de séries, «souvent très intéressantes car aujourd'hui, soyons honnêtes, les rôles féminins les plus passionnants se trouvent à la télé». Mais elle ne désespère pas, et quand elle voit les succès récents de Kirsten Wiig (dans Bridesmaids) ou Amy Schumer (dans Crazy Amy, le Apatow nouveau), elle se dit qu'une porte s'est ouverte en grand.

Flexibilité

Car, autant le dire d'emblée, malgré ses airs de communiante, c'est avant tout de la comédie que vient Alison Brie. Ceux qui l'ont vue envoyer ses quatre vérités à sa sœur de cinéma, Emily Blunt, en singeant la voix de fausset d'Elmo, marionnette de Sesame Street, dans 5 ans de réflexion, de Nicholas Stoller, ne l'ont jamais oubliée. Ce qu'il y a de très beau chez elle, c'est la cohabitation parfaitement harmonieuse entre ces moments de folie pure et d'autres, plus secrets, où tout son visage se trouble et vibre comme une membrane ultrasensible. Il y a, dans Jamais entre amis, un ou deux moments comme cela. Soudain quelque chose de presque tragique se faufile, pour disparaître aussitôt.

Cette flexibilité est quelque chose qu'Alison Brie a appris à travailler très jeune. Petite fille grandissant à Pasadena, tout proche de Hollywood, voyant des tournages à sa porte tous les deux jours ou croisant sans cesse telle star commandant son chai latte le matin, ce n'est pas le cinéma qui la fait rêver. Trop proche. Par esprit de contradiction et avec un léger dédain envers «l'industrie», elle veut être comédienne, mais de théâtre. Elle ne passe donc pas son enfance à courir les castings de pubs comme beaucoup de ses consœurs, mais est inscrite, dès 7 ans, aux stages de théâtre d'été pour enfants du Jewish Community Center de Los Feliz, quitte à improviser de fausses chansons de Blanche-Neige ou de Bernard et Bianca, parce que la compagnie ne pouvait pas se payer les droits Disney.

Nudité

Mais ce qui a été le plus formateur, et très en accord rétrospectif avec une famille comique inconvenante et éructante qui irait de Saturday Night Live à Judd Apatow, c'est l'apprentissage dispensé au California Institute of the Arts, la fameuse CalArts, institution californienne mythique. Un apprentissage qu'elle reçut, le plus souvent, nue… Entre les cours de théâtre classique et ceux d'avant-garde, on encourage les élèves à se défaire de leurs habits tant qu'ils le peuvent. Cela ressemble à la Californie des années 70, et pourtant, nous sommes au début des années 2000. «Ils étaient très relax question dress code. La règle était la suivante : la nudité était acceptée partout sur le campus, sauf pour aller déjeuner à la cafète ! se remémore-t-elle avec un plaisir évident. C'était pour encourager les étudiants à s'exprimer, à mettre leur corps au cœur de leurs performances. Mais pour moi, c'était juste irrésistiblement drôle ! Dès que ma roommate était un peu déprimée, ou qu'on s'ennuyait le soir, je sortais en douce de notre chambre, me dévêtais et grimpais à l'arbre devant notre fenêtre dans le plus simple appareil. J'ai compris que ça faisait rire !»

Alison Brie comprend très vite que ce qui lui plaît aussi dans la comédie, c'est qu'elle ne s'embarrasse pas de la dictature de l'apparence si importante à Hollywood : «Quand vous avez envie de faire rire, vous devez mettre ces considérations de côté. Etre tirée à quatre épingles : "belle", ce n'est pas ça qui est drôle. J'allais utiliser mon corps de manière comique, plutôt que de le travailler à être parfait. Voilà ce que j'ai appris grâce aux drôles de coutumes de CalArts.»

Pour l’avenir, Alison Brie rêve de l’univers cinématographique des deux Anderson, Wes et Paul Thomas. Espérons que l’un d’eux (préférablement le premier) saura la dénuder juste ce qu’il faut. Et la révéler.