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Mode

«Models Never Talk», tant de poses

Au Centre national de la danse, Olivier Saillard met en scène sept mannequins qui, chacune, raconte des souvenirs de travail avec des couturiers.
«Models Never Talk», lors d'une représentation à New York le 8 septembre 2014. (Photo AFP)
publié le 8 octobre 2015 à 11h45

Ce n'est pas du théâtre ni de la danse, mais de la mode. Même si cela se passe au Centre national de la danse, et dans le cadre du Festival d'Automne. Jusqu'au 15 octobre, Olivier Saillard présente Models Never Talk, une performance avec sept femmes, qui ne sont pas actrices mais ont été/sont encore «performeuses» dans un univers très précis: la mode, elles sont donc mannequins. Saillard, directeur du Palais Galliera (musée de la Mode de la ville de Paris) et organisateur de performances, dont certaines très médiatisées avec Tilda Swinton, est aux manettes. A Libération, le 1er octobre, il expliquait ainsi le spectacle: «J'ai en effet demandé à sept femmes, anciennement mannequins emblématiques de grandes maisons de couture des années 80-90, de se souvenir de certains vêtements et du répertoire de gestes associés à ces maisons.»

Pour qui ne connaît la mode que de loin, les noms de ces sept femmes ne disent rien à personne. Mais pour celui curieux de cet univers, il y a une familiarité. On reconnaît donc la blonde Christine Bergstrom restée célèbre pour ses apparitions chez Alaïa, Gaultier ou Montana, Axelle Doué et ses longs cheveux (aujourd’hui gris) vue dans les habits de Lacroix ou Lagerfeld, Amalia Vairelli, très proche de Saint Laurent. Les sept sont en body et collants noirs, sans aucun artifice. Il n’y a que les corps et les visages.

Une à une, elles se lèvent et prennent la parole, décrivent une rencontre avec Madame Grès, un cours de marche en talons de Sonia Rykiel, un manteau aux manches kimono et au dos construit d'un seul bloc, dessiné par Martin Margiela pour Hermès. Olivier Saillard, connaisseur encyclopédique de la mode, décline là quelques saillies esthétiques, moments marquants, instants où se concrétise la capacité de cet univers à capter le moment. Alors, c'est souvent très amusant. Notamment quand les sept filles sont en rang d'oignons et imitent une séance dans le studio de Claude Montana et qu'il fallait «forcer la pose pour coller encore plus aux dessins». Ou qu'une autre, Claudia Huidobro raconte les défilés Comme des Garçons: elle jette ses talons au loin, imite des cheveux sales et se maquille (pour de faux) de deux traits noirs et défile en tirant la tronche. C'est aussi très émouvant, surtout quand toutes les filles défilent, marchent ensemble, arrivent avec à la main une photo d'elle (choisie par elle-même) au temps où elles étaient mannequins. Chacune imite sa pose d'alors, et on ne peut s'empêcher d'imaginer comment le corps a changé, ce qu'il a perdu mais aussi ce qu'il a gagné en beauté, en maturité.

Comme beaucoup de mises en scène d'Olivier Saillard, Models Never Talk est très séduisant, principalement par son intelligence, par sa manière tendre et nette de déployer un savoir sur la mode. Le petit bémol est corollaire de cette brillance: cela pourrait aller encore plus loin. Ces sept corps sont impressionnants, mais ils s'inscrivent aussi dans un éventail très cadré, grosso modo celui de la couture des années 70 à 90. Soit un monde qui, malgré sa folie d'alors et que cela déplaise ou non, est aujourd'hui rentré dans le champ du classicisme pour celles et ceux qui ne l'ont pas connu. On rêverait de voir Olivier Saillard quitter les ateliers des maisons de couture et s'intéresser à d'autres formes esthétiques, moins «nobles», plus rudes. Pourquoi pas le grunge ou tant d'autre forme contre-culturelles? Car au fond, l'attachement de ces femmes à une robe tient moins à la beauté de l'habit qu'au geste de l'habillement en lui-même, cette relation unique entre un mannequin et le créateur et que Saillard sait si bien montrer.

«Models Never Talk», spectacle d’Olivier Saillard, avec Christine Bergstrom, Axelle Doué, Charlotte Flossaut, Claudia Huidobro, Anne Rohart, Violeta Sanchez et Amalia Vairelli. Au Centre national de la danse, 1, rue Victor-Hugo, Pantin. Dans le cadre du Festival d’automne.