Alcoolique, souffreteuse et désespérément seule, la New-Yorkaise Julia Wertz a réalisé avec l'Attente infinie un autoportrait de jeune artiste en louzeuse. Ce volume en noir et blanc compose, avec Alcoolique de Jonathan Ames (sorti ce mois-ci), un diptyque réjouissant sur les méfaits de la boisson au travail. Ces mémoires graphiques racontent avec un mauvais esprit pince-sans-rire une enfance dans une famille dysfonctionnelle de la côte Ouest. L'étudiante emménage ensuite à San Francisco auprès de son grand frère, avec deux colocataires. Elle y enchaîne les petits boulots exténuants de serveuse, travaille de nuit dans la restauration où elle est souvent prise à partie par des SDF. Atteinte d'une maladie auto-immune, le lupus, sans assurance maladie et alitée, elle se découvre sur le tard une vocation pour la BD, voie qu'elle poursuivra à New York en infiltrant la scène des comics indé en plein essor. Cette genèse artistique se compose de trois parties car, prévient-elle d'emblée en intro, «je fais uniquement ce dont j'ai envie, puisque dans ma tête, j'ai cinq ans».
Julia Wertz est née dans la région de Napa Valley en 1982 et s'est lancée grâce à un webcomic candide et désespéré, Fart Party («fête du prout»), suivi d'une collaboration avec le collectif de bédéastes féminin Pizza Island. L'Attente infinie est sa deuxième BD traduite, après Whiskey et New York (2011). Elle se croque d'un trait espiègle qui contraste avec l'acidité du propos exagérément misanthrope sur la précarité artistique. «Mon absence de technique est très visible et mon travail est souvent critiqué, mais je trouve que cela va bien avec mon ton, qui est assez peu conventionnel et se fiche des règles littéraires et narratives traditonnelles. Tout simplement parce que ce sont des règles que je ne connais pas», nous explique cette autodidacte. Son travail est devenu, de son propre aveu, «plus sérieux» après un break bien mérité de deux ans. Elle dessine désormais pour le New Yorker, achève la rédaction d'un nouveau volume et doit parfois vendre ses œuvres pour payer ses soins hospitaliers. Surtout, elle a pris l'habitude d'explorer des immeubles abandonnés qu'elle met en photo sur son site Adventure Bible School. «C'est un passe-temps très sale et dangereux, tout le contraire de la bande dessinée.»