Imran Amed, 40 ans, est à la tête de The Business of Fashion, site de référence en matière d’informations économiques sur l’industrie de la mode. Fondé en 2007 comme un simple blog, BOF fait aujourd’hui de la concurrence au très respecté Women’s Wear Daily, vieux de 105 ans. BOF a su gagner sa place (2 millions de pages vues chaque mois) dans l’univers des pure players spécialisés à grand renfort d’interviews fleuve et d’analyses des marchés. Imran Amed a grandi au Canada avant d’étudier l’économie, notamment à Harvard. Pragmatique à l’anglo-saxonne, il voit la mode avant tout comme un business, indifférenciable de sa part créative. Pour Next, il évoque l’avenir de sa plateforme et les tendances de la mode masculine.
Comment avez-vous lancé The Business of Fashion ?
Imran Amed : Avant BOF, j'étais consultant dans le management. Toute ma formation s'est faite côté business. Vers 29 ans, j'ai commencé à envisager de travailler dans la mode. J'ai voulu monter une société pour soutenir de jeunes stylistes. Ça n'a pas vraiment marché mais ça m'a permis de parfaire mon savoir sur ce milieu, de mieux cerner qui était qui, qui faisait quoi. Jusque-là, je ne connaissais la mode que du point de vue du consommateur. On était en 2006, le digital était à un tournant. Personne ne parlait encore des blogueurs. J'ai commencé à écrire depuis chez moi. Le site ressemblait au journal intime d'un outsider. Je contrebalançais ça en me servant de mes connaissances en matière de business. Auparavant, mon job était de comprendre comment les marchés évoluent, quels nouveaux business models étaient sur le point d'émerger, l'impact de la globalisation, des systèmes de taxe, des technologies. J'ai appliqué tout cela à la mode.
Quel était votre objectif en créant BOF ?
Il n’y avait pas de but. C’était un projet personnel. Je n’essayais même pas de faire de l’audience ou de gagner ma vie avec. Je voulais être créatif à mon niveau. écrire me permettait d’organiser mes pensées. BOF, c’était une nouvelle passion. Je m’en occupais le soir, pour me distraire.
Aujourd’hui, combien de personnes travaillent pour vous ?
Trente au total. La majorité est à Londres, deux personnes sont basées à New York, deux autres à Shanghai.
Quel rôle voulez-vous impulser à BOF ?
Qu’il soit un observateur indépendant, qu’il rende l’industrie de la mode plus intelligible. BOF informe le milieu et connecte ses différents acteurs. Nous ne voulons pas être perçus comme anglais, européens ou américains. Nous estimons être une voix globale, capable de parler à la planète. Nous avons toujours observé la mode comme une industrie mondialisée.
Li Edelkoort, fine observatrice du milieu, a parlé de « la fin de la mode ». Que pensez-vous des critiques qui annoncent la disparition d’un système éculé, vicié, en perte d’éthique ?
La mode reste une industrie excitante. Elle est devenue très globale mais ce qui permet aujourd’hui d’avoir du succès, ce sont les mêmes qualités que dans le passé : cette créativité dont je parle, reste fondamentale. La mode célèbre encore ceux qui apportent quelque chose de différent. Mais ce n’est pas un art. Elle n’est pas là pour rester figée dans un musée, admirée de loin, et ne plus être portée. Elle doit s’intégrer à la vie des gens, à la rue et à ses codes. Au bout du compte, des consommateurs doivent avoir envie de l’acheter. Il s’agit de trouver un équilibre entre cet élan créatif et ce besoin commercial. Dans le passé, les créatifs pouvaient se couper du monde, sans être pragmatiques. Aujourd’hui, ce n’est plus vrai, ils doivent trouver un moyen de monétiser leur marque.
Pourquoi avez-vous choisi de lancer des cours de mode gratuits sur le net ?
Une très large part de notre audience est composée d'étudiants. Ils considèrent BOF comme une bible sur l'industrie. En 2007, quand j'ai débuté le blog, une série d'articles a bien fonctionné, elle s'appelait « Comment débuter dans le business de la mode à partir de rien ». Huit ans plus tard, ça reste le contenu le plus lu sur le site. Le domaine éducatif n'a rien à voir avec les sujets d'actualité, il reste sur la durée. Une grande partie des utilisateurs de BOF voit le site comme une ressource pour leurs études, ou pour leurs cours quand il s'agit de professeurs. C'est pour cela que nous avons créé quelque chose de spécifique pour eux. Je suis persuadé que ça marchera.
Vous êtes régulièrement listé parmi les hommes les mieux habillés de Grande-Bretagne. Quelle pays sort du lot en matière de mode masculine ?
Le Japon. Là-bas, le paysage de la mode masculine est au-dessus du lot. Tous les styles sont représentés. Si vous cherchez une esthétique particulière, la gamme est mise en valeur dans sa globalité. Et ils ont toujours la meilleure qualité avec un service incroyable. Pour un client, c’est l’endroit idéal où acheter des vêtements.
Quelles tendances voyez-vous émerger cette saison chez l’homme ?
Avec la crise, pendant deux ans, tout le monde était revenu aux classiques, à l’esprit des tailleurs traditionnels, aux costumes, cravates, pochettes. Je constate qu’on revient à quelque chose de plus relax. Il y a beaucoup de baggys, des pantalons avec des cordons coulissants, des silhouettes drapées. Je le vois dans ma propre façon de m’habiller, je n’ai pas envie de porter des costumes tous les jours, de m’enfermer dans un style trop strict. La façon de vivre la mode est moins rigide aujourd’hui. Nous cherchons à porter des tenues plus décontractées, tout en restant sophistiqués, soignés. C’est toujours très mode mais c’est moins précis et plus facile à porter, léger, détendu.
Quelle marque illustre cette tendance ?
Ma griffe favorite, c’est Sacai, une marque japonaise qui défile à Paris. Les textiles et les matières utilisés sont incroyables. C’est relax et confortable sans être ennuyeux. Ce n’est pas comme si en portant ce type de vêtements, vous aviez l’air de ne pas faire d’effort.
A quels impératifs ce secteur va-t-il être confronté dans le futur ?
D’un point de vue économique, je ne pourrais pas vous répondre. Mais la mode homme a moins de latitude pour s’exprimer que la mode femme. Tout se joue là, sur le détail plutôt que sur de grandes déclarations de styles.