«Je me souviens du bleu des toms [petit tambour, ndlr] de ma batterie d'enfance, à la fin des années 70. A Versailles, mon père tenait un magasin dans lequel il revendait des instruments de musique. Il fabriquait aussi des orgues modernisés et des cloches électroniques avec des boîtes à rythmes pour les églises [le grand-père de Michel Gondry a inventé le clavioline en 1947, ancêtre du synthé, ndlr].
Il commandait des batteries et des guitares pour les vendre alors j’en avais choisi une de la marque anglaise Premier que je convoitais parce que c’était, entre autres, la batterie de Keith Moon, le batteur des Who. Pour la couleur, j’avais choisi un bleu un peu moiré avec un effet de profondeur sur le plastique et des petits carrés entremêlés. C’était très en vogue sur les batteries des années 60, que l’on voit toujours en noir et blanc sur les photos d’époque.
Malheureusement, à ce moment-là, ce n’était plus à la mode, j’ai donc reçu une batterie bleue unie et je dois avouer que j’étais très déçu. Il y avait quand même des petites paillettes qui donnaient une profondeur au plastique mais ce n’était pas pareil que le bleu nacré… J’ai joué de cette batterie pendant longtemps, je l’ai trimbalée à droite, à gauche jusqu’à ce que, dans les déménagements, un tom puis l’autre s’éparpillent. La grosse caisse était trop grosse, j’ai dû l’abandonner dans une salle de répétition.
Mon frère, lui, était plutôt motard et fan de hard rock: il avait une moto mais comme il n’avait pas le permis, ses copains conduisaient pour lui. J’ai fait un peu de rock progressif et à mon entrée en 1978 au lycée pilote de Sèvres, j’ai rencontré Etienne Charry et d’autres amis qui m’ont poussé à écouter des choses plus actuelles et à jouer du punk rock. Nous avons monté le groupe Oui Oui pour lequel j’avais des ambitions démesurées. Nous en discutions beaucoup à l’époque avec Etienne: il voyait en moi un besoin de reconnaissance publique que lui n’avait pas du tout. A ses yeux, le succès était suspect.
Je savais bien que j'avais cette envie un peu narcissique, d'ailleurs j'étais impressionné depuis tout petit par les leaders, dans tous les domaines: Pelé en football, Duke Ellington en jazz, Janis Joplin en rock… Je me demandais pourquoi leur impact était si grand, ce qui faisait la différence avec le reste de leurs congénères. Un jour, j'ai acheté une petite caméra grâce à un ami, Jean-Louis Bompoint [directeur de la photo, notamment de Michel Gondry, ndlr] qui était réalisateur. On a fait quelques petits films ensemble, de l'animation en format court, sous influence du Canadien Norman McLaren. Comme je n'avais pas envie de partager, j'ai monté de mon côté quelques petits films en leur accolant la musique de Oui Oui. Ensuite, la tendance s'est inversée et je me suis mis à tourner des clips. Avec l'âge, j'ai compris que je n'atteindrais jamais le niveau de Pelé ou Joplin, même si je ne suis pas mécontent de ce que j'ai fait, finalement. J'ai évolué. »