Commandé en juin par François Hollande, le rapport du président directeur du Louvre, «Cinquante propositions françaises pour protéger le patrimoine de l'humanité», a été rendu officiel quatre jours après les attentats. C'est l'ampleur des destructions de bien culturels et religieux ces derniers mois qui avait conduit le chef de l'Etat à confier cette mission à Jean-Luc Martinez en lui demandant de travailler «sur les mesures de nature préventive susceptibles de mettre les biens culturels à l'abri des destructions et des pillages et sur le renforcement de la lutte contre les trafics illicites».
Plusieurs monuments emblématiques de la cité antique de Palmyre, en Syrie, ont été ainsi détruits ces derniers mois par l'organisation Etat islamique, pour qui le trafic d'art contribuerait à 9% de ses revenus. «Daech se comporte comme un Etat qui vit d'une forme de dîme, d'impôt, qu'il prélève en donnant des permis de fouilles», a expliqué vendredi matin le président directeur du Louvre sur France Culture. Les trafiquants d'antiquité du sang savent brouiller les pistes pour blanchir des œuvres qui ne ressortent parfois que cinq, dix ans plus tard.
Droit de refuge pour les œuvres
Dès mardi, s'appuyant sur le rapport, François Hollande a ouvert un nouveau front de la lutte en annonçant des mesures contre ce trafic d'œuvres d'art. «En ce moment même, l'organisation terroriste Daech délivre des permis de fouille, prélève des taxes sur les biens qui vont ensuite alimenter le marché noir mondial, transitant par des ports francs qui sont des havres pour le recel et le blanchiment, y compris en Europe», a lancé le président de la République devant la 70e conférence générale de l'Unesco. Il a notamment évoqué un droit d'asile pour les œuvres, préconisation du rapport Martinez. Pour «empêcher que les œuvres transportées puissent tomber entre les mains des terroristes», la France «accueillera des refuges pour que les biens culturels menacés puissent trouver, si je puis dire, un asile dans les musées qui souhaiteraient, face au danger, mettre les collections à l'abri».
Ce «droit d'asile» figurera dans la loi «création, architecture et patrimoine», passée en première lecture au Parlement. Cette loi comporte aussi une disposition comme la possibilité nouvelle donnée aux douanes de contrôler l'importation de biens culturels en provenance de pays ayant ratifié la convention de l'Unesco de 1970. Elle transposera aussi les résolutions du Conseil de sécurité interdisant le transport, le transit, le commerce du patrimoine culturel mobilier ayant quitté illégalement un Etat.
Lutter contre les paradis du recel
En outre, François Hollande a également retenu l'idée du rapport Martinez d'élaborer sous la responsabilité de l'Unesco une liste noire des «paradis du recel» et une meilleure harmonisation du droit européen en la matière de recel. Ainsi, en France, le recel peut se dénoncer sans limite de temps, alors que dans beaucoup de pays, comme la Belgique, il est considéré comme un délit instantané. Les délais de prescription sont également très différents d'un pays à l'autre. Le rapport Martinez préconise aussi de renforcer les sanctions applicables au trafic de biens culturels, notamment en recourant davantage à l'infraction de blanchiment et à saisir la Cour pénale internationale à chaque destruction de patrimoine pour poursuivre leurs auteurs pour «crime de guerre».
Construire l’avenir
«Il faut préparer le postconflit, avançait vendredi matin, sur France Culture, Jean-Luc Martinez. Par rapport à ceux qui veulent détruire le passé, il nous faut construire l'avenir.» Son rapport liste différentes propositions pour à la fois financer la reconstruction du patrimoine détruit et faire œuvre de pédagogie. La France souhaite ainsi mettre en place un Fonds mondial de dotation, spécifiquement dédié à la sauvegarde ou la reconstruction du patrimoine, qui «financerait des projets de travail après le conflit», a affirmé François Hollande dans son discours mardi. Ce fonds pourrait servir à financer le travail de reconstruction de Palmyre ou l'étude du site archéologique de Mari. Véhiculant l'idée de «mécénat perpétuel», il pourrait être alimenté par des subventions d'organisations internationales, comme l'Union européenne qui a déjà versé une subvention de 2,3 millions d'euros en 2014 au bureau de l'Unesco à Beyrouth dans le cadre du «projet de sauvegarde d'urgence du patrimoine syrien», des soutiens d'Etats, du mécénat d'entreprises, de crowfunding…
Un autre moyen pour récolter de l’argent et protéger le patrimoine, c’est de proposer de grandes expositions, comme «Musées en exil». Cela signifie l’organisation d’expositions itinérantes de biens culturels menacés mais aussi la programmation d’expositions mettant en valeur l’histoire et les collections issues de zones en conflit, comme celle prévue sur la Mésopotamie au Louvre-Lens à l’automne 2016. Une exposition «Musée en exil» sur l’Afghanistan a ainsi rapporté 3 millions de dollars en dix ans, versés ensuite au musée de Kaboul.