Des ouvrages publiés à la gloire du hip-hop, il y en a des kyrielles. Certains se chargent de dresser des listes non exhaustives des meilleurs albums français ou internationaux, ce qui se révèle toujours sujet à polémique. Le journaliste américain Shea Serrano (en poste à feu Grantland, et auteur d'un excellent activity book sur le rappeur Bun B et quelques figures du rap américain) publie un ouvrage (en anglais), dédié au rap américain des quarante dernières années et dont Ice-T signe la préface : «Un morceau important, c'est un morceau qui met la musique sur une nouvelle voie ou introduit un nouvel élément à la musique en général», écrit le rappeur. The rap year book, The most important rap song from every year since 1979, discussed, debated, and deconstructed tente de photographier les morceaux culte du genre, de Rapper's delight de Sugarhill Gang, premier morceau de rap à rencontrer le succès en 1979 à Lifestyle de Rich Gang avec Young Thug et Rich Homie Quan sorti en 2014 (Serrano avoue qu'il a choisi ce titre pour évoquer Young Thug, plus que ses deux camarades). The rap year book brasse large et grand public (il figure d'ailleurs dans la liste de novembre 2015 des best-sellers du New York Times), se veut ludique dans sa forme et dans le fond des anecdotes qu'il glane.
Chaque morceau est disséqué et commenté à l'aide de jeux de l'oie des rimes à retenir, de vocabulaire indispensable à la compréhension de titre culte tel le Still Tippin de Mick Jones, rappeur de Houston dont le slang méritait bien une traduction, de vieilles interviews déterrées des archives de Spin, de tableaux d'insultes les plus employées (134 fois «fuck» et 64 «bitch» dans Straight outta Compton de NWA). A quoi s'ajoute, chaque année, l'intervention d'un contradicteur (des journalistes du NY Times, de MTV, Vice, Grantland, Rolling Stones) invité à défendre un autre morceau clé, puisqu'il y a toujours matière à débat dans le seul fait de dresser des palmarès. Ainsi, il n'y a pas 36 morceaux dans ce livre mais 72, puisqu'à chaque fois une face B est proposée.
Le camembert sert à tout, même à compartimenter les humeurs de Drake dans ses morceaux phare :
En 1988, l'année de Straight Outta Compton de NWA, choisi par Serrano, une dizaine d'albums majeurs marquèrent l'histoire du rap américain : parmi eux, celui de Public Enemy (It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back), d'Ice-T (Power), Lyte as a Rock, premier album de MC Lyte, Big Daddy Kane et son Long Live the Kane, Follow the Leader d'Eric B. and Rakim, ou encore The Jungle Brothers qui sortaient Straight out the Jungle, Run DMC (Tougher Than Leather), ou Strictly Business d'EPMD. Si Straight Outta Compton tire son épingle du jeu, c'est qu'il marque la puissance d'un nouveau sous-genre : le gangsta rap. Et que l'album porté par son titre éponyme et le très explicite Fuck tha police s'est vendu à 500 000 copies en moins de deux mois alors qu'il était interdit partout. Aucune radio, aucune télé et aucune ville ne voulant accueillir le groupe le plus controversé de l'histoire encore jeune du rap américain.
La question n'est pas là de savoir quel est le meilleur morceau de l'année, mais plutôt quel titre serait le plus révélateur d'une époque, ce qui balaye certains hits et voit surgir quelques incongruités (Same Love de Macklemore et Ryan Lewis illustre l'an 2012, car il est le premier morceau à prendre la défense de la cause homosexuelle et à être devenu un hit planétaire).
The Rap Year Book, The Most Important Rap Song From Every Year Since 1979, Discussed, Debated, and Deconstructed de Shea Serrano, illustraté par Arturo Torres, préface de Ice-T. Publié par Abrams Image. 239 pages, 18,95 dollars.
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