Certains documentaires participent grandement à la construction d'une légende. Lemmy est de ceux là. Durant trois ans, Greg Olliver et Wes Orshoski ont suivi le chanteur-bassiste de Motörhead, mort lundi, partout où ils le pouvaient et leur sujet a été très permissif en la matière. En tournée, dans les loges, dans son appartement-capharnaüm de Sunset Boulevard, son bar fétiche où il passe des heures à une sorte de machines à sous… Lemmy n'a rien caché de sa vie, tout en faisant sentir à sa manière quand la caméra était de trop.
C’est en partie cette liberté qui rend ce film (diffusé en 2010, trouvable encore facilement) essentiel pour comprendre un personnage aussi complexe. Pour saisir pourquoi l’hommage rendu par tous les artistes frôle l’unanimité, qu’ils s’appellent Dave Grohl, Ozzy Osbourne, Slash, Alice Cooper, Mick Jones, Lars Ulrich… Une légende doit forcément se fabriquer – très amusant de revoir ses débuts au sein des Vickers et des psychédéliques Hawkwind – mais, pour lui, il y a une part de ce qu’il est et a toujours été. Et de ce qu’il a fini par symboliser.
Une des scènes qui ouvre le documentaire montre bien ce symbole : Lemmy erre dans une magasin de musique à Los Angeles à la recherche d'une version rare (en mono) d'un enregistrement des Beatles («le plus grand groupe de rock au monde, on dit que les Stones étaient des durs et les Beatles des tapettes, mais c'est le contraire»), il ne le trouve pas dans les rayons, mais la propriétaire des lieux finit par lui offrir son unique exemplaire : «Au nom du rock'n'roll.». Geste totalement désintéressé qui montre ce que représente la bête qui a influencé bien des groupes de métal, que tous invitent sur scène à jouer avec eux. «Sans lui, pas de Metallica, pas de Megadeth, pas de Slayer», dixit les intéressés.
Son secret pour survire ? «Ne pas mourir»
Contraire de la rock star fabriquée de toutes pièces, Lemmy n'a pas changé. Jamais. «Je ne sais rien faire d'autres et j'ai les mêmes influences que quand j'avais 20 ans», explique-t-il. Et sur son mode de vie chaotique : «J'ai vécu toute ma vie de cette façon, je vais continuer de faire pareil, à prendre de l'alcool et des drogues, je suis trop vieux pour trouver Dieu.» Quand on dit chaotique, le mot est faible tant il a consommé d'alcool et de speed. «D'après les lois de la nature, il devrait être mort depuis longtemps», assure Ozzy Osbourne. Ceux qui l'ont fréquenté en témoignent, comme le leader de Reverend Horton Heat : «On devait enregistrer quelques morceaux, mais on a passé la journée à boire et le lendemain, j'ai dû être hospitalisé pour une intoxication alcoolique.» Son secret pour survire ? «Ne pas mourir», disait-il tout simplement.
Le film permet de voir bien des aspects éloignés d'une légende du rock : comment il dessine lui-même les motifs de ses bottes de cow-boy, sa folie des objets, ses petites manies… Mais aussi ses collections d'épées et sa folie des uniformes allemands de la Seconde Guerre mondiale. Fan des nazis ? «Si l'armée isréalienne avait eu aussi de beaux habits, je les aurais collectionnés», répond-il en se marrant.
Plus touchant encore de le voir avec son fils à qui il clame son amour face caméra : «La chose dont je suis le plus fier ? Mon fils. Le seul que j'ai. Enfin, j'en ai un autre mais je ne l'ai jamais vu. Sa mère est aussi sortie avec John Lennon, mais c'était pour draguer McCartney.»
«Lemmy» montre un homme accessible et délicieux, l'exact contraire de l'image que peut véhiculer la musique qu'il incarne si bien. Un homme qui a choisi entre l'amour et le rock. «Le jour où il va mourir, prophétise un de ses amis, ce sera triste mais on pourra dire qu'on s'est vraiment bien éclatés.»