Musiciens ou pas, admirateurs de la première ou la dernière heure, ils ne font pas forcément partie des générations directement en prise avec les années les plus glorieuses de Michel Delpech. Et pourtant, tous témoignent, dans leurs réactions à sa disparition pour Libération, d'un vif attachement à cette figure archi sensible, passeur passionné et néanmoins furtif de la pop anglaise des sixties, aux mots chargés de l'imaginaire d'une France que nul n'a chantée tout à fait comme lui.
Alister Chanteur, musicien et rédacteur en chef de la revue «Schnock»
«Il y a deux ans, j'écrivais un papier dans Schnock sur son album de 1975, Quand j'étais chanteur, où je disais en substance que ce monsieur méritait que l'on donne son nom à des rues en France, parce que sans en faire le "Français moyen", quelque chose de l'essence du pays s'incarnait dans ses chansons. Ce qui était très touchant chez lui, c'est qu'il n'avait ni la puissance, ni la célébrité d'un Johnny, ni le mordant d'un Dutronc, ni le charme de tombeur d'un Mike Brant, ni le côté politique d'un Sardou, et en même temps, un peu de tout cela à la fois, sans jamais en faire trop.
«A travers ses chansons, il se situait toujours dans cette zone grise, légère, à la fois mélancolique et ironique, mais sans excès. Il était aussi dans OK Magazine et en poster dans les chambres des petites filles, sans être tout à fait un chanteur à minettes. C'était peut-être pour ça aussi que sa carrière a périclité dans les fameuses années 80. Et puis, il avait aussi une manière bien à lui de chanter cette vision de la France, dans le Loir-et-Cher, ou le Chasseur, qui le résume bien : il parle à la fois d'un truc très français, et en même temps, à la fin, il décide de ne pas tuer les oiseaux - si j'ai bien compris la chanson. Des choses qui n'ont pas l'air sexy sur le papier, mais dans sa bouche, ça sonnait pas mal. Et puis, derrière les tubes, il y a des titres comme les Groupies, en 1970, très psychédélique, où l'on sent qu'il avait une oreille très affûtée sur les Beatles, ou en 1975, ce morceau à la McCartney très bizarre, Même Germaine elle était stone, tout à fait recommandable.»
Barbara Carlotti, chanteuse et musicienne
«C’était vraiment un chic type, je l’aimais beaucoup. Et il était l’un des points d’origine de tout ce que j’aime en chanson. Quand je commençais à peine, j’avais pris part à un concours de chansons organisé par France Bleu, et il faisait partie du jury du dernier tour, qui se tenait à Périgueux. J’étais arrivée deuxième, j’étais contente, car à l’époque, j’en étais au tout début, avec seulement un mini-album autoproduit. Et il était venu me voir pour m’encourager et me dire qu’il s’était battu pour que j’aie le premier prix. Puis, quand j’avais fait mon premier vrai album, il m’avait appelée pour me féliciter d’avoir poursuivi ma route, puis rappelée dans la foulée pour m’inviter à participer à son album de duos. Il était comme ça, hyper classe, généreux et attentif. On sentait qu’il pensait toujours aux autres.
«C'était plutôt une figure de la génération de mes parents, mais des titres comme le Chasseur, Pour un flirt ou Wight Is Wight étaient pour moi de grands classiques, j'aimais bien. Au même titre que des chansons un peu moins connues comme Paul chantait Yesterday, ou Inventaire 66, une super chanson, mélange de Michel Legrand et de yéyé. On sentait qu'il avait une fascination pour la pop anglaise, qu'il voulait accompagner ça en France. C'était vraiment son truc dans la première partie de sa carrière. Il avait conservé quelque chose de cela, physiquement, vestimentairement : il avait un peu la classe, mais c'était sobre, il ne se la jouait pas. Ses chansons étaient à l'image de cette grande simplicité de bon gars, avec une sincérité, une franchise très agréables.»
Christophe Honoré, cinéaste
«Rencontrer Michel Delpech sur le tournage des Bien Aimés fut une expérience heureuse, tant cet homme était délicat, doux, attentionné. Il tremblait un peu quand il jouait avec Catherine Deneuve. Il rigolait comme un gosse quand c'était avec Louis Garrel. Il s'étonnait toujours au moment du "coupez" que je lui dise que c'était parfait, qu'on pouvait passer au plan suivant. Il me semble que jouer a été pour lui quelque chose qu'il considérait comme une chance et un plaisir. Il s'est révélé un très bon acteur.
«Avec sa disparition, c’est aussi la mort d’une part de la culture de la génération de mes parents. Une part que je n’hésitais pas à aimer avec eux. A l’image de Julien Clerc, de Barbara, il faisait lien entre ceux nés dans les années 50 et ceux nés dans les années 70. Il raconte l’idée d’une France délicate, amusée, vive. Qui joignait aujourd’hui les gens de ma génération et ceux nés dans les années 90. Quelle culture populaire partagée est venue ensuite ? Et avec quelle idée de la France ? Je me pose ce genre de questions quand je vois disparaître des icônes comme Michel, et au chagrin s’ajoute une mélancolie certaine.»
JP Nataf, chanteur, musicien, membre des Innocents
«Je l'ai en quelque sorte découvert sur le tard, bien qu'il ait tenu une place particulière à l'intérieur des Innocents. Mon collègue Jean-Christophe Urbain étant très porté sur Delpech et Joe Dassin, ça a souvent et pendant longtemps été un sujet de filouteries entre nous. On était en train de travailler à une chanson et je lui disais : "Ah, tu veux encore tirer ça en douce vers Delpech-Dassin !" Alors que moi, j'aurais préféré que ça sonne plus comme du Monochrome Set ou du R.E.M. Il faut dire que je l'avais très peu écouté, et que j'ai mis du temps à saisir le lien qu'il pouvait y avoir entre Delpech et Paul Simon ou Paul McCartney, toute une école de songwriting qui me plaisait énormément dès lors qu'elle s'exprimait en anglais, mais qui, en français, ne passait pas du tout pour mes oreilles d'ado.
«Quand j’ai compris ça, on a pu conclure, Jean-Christophe et moi, une sorte de paix esthétique qui nous a permis de jouer aussi bien avec Ron Sexsmith qu’avec Delpech. Si bien que j’ai fini par le croiser, deux fois, et il m’a beaucoup touché, par son humilité notamment. Et ainsi, comme souvent, on peut aller à l’envers, sa rencontre m’a reconduit à ses chansons.»