Menu
Libération
Récit

Instagram comme réponse au viol ?

Immédiatement après son agression, en novembre, Amber, une activiste de 27 ans, s'est «postée» sur le réseau social. Une démarche qui étonne.

A Cape Town, en Afrique du Sud. (Photo Mike Hutchings. Reuters)
Publié le 10/01/2016 à 16h11

A l'heure où on commence cet article, elle vient de poster sur son compte Instagram, Ambertheactivist, un dessin qui la représente assise nue dans l'eau, les mains sur les seins, entourée d'une branche fleurie. Une image très bucolique, douce. Un visiteur non averti pourrait penser à l'éloge d'une vie hédoniste, n'était-ce cette phrase qui accompagne le charmant tableau : «Still naked. Still free. Still not asking for it» («Toujours nue. Toujours libre. Ne demande toujours pas à être violée»). Comment ne pas être d'accord avec cette revendication à pouvoir être soi, dans le plus simple appareil et éventuellement sexy, sans que cela expose à un danger ?

«Kit du viol»

Mais le dossier est un peu plus compliqué que ça, et le reste de l'histoire bien plus glauque et problématique : Ambertheactivist est le compte d'Amber Amour (pseudonyme ou alors coïncidence stupéfiante et paradoxale), 27 ans, originaire de l'Ohio, militante féministe antiviolences sexuelles (elle explique son engagement par un premier viol à 12 ans, puis adulte, par un colocataire). Or, il y a quelques jours, un entretien publié par Marie Claire UK (1) révélait que le 21 novembre, Amber Amour a documenté sur Instagram et quasi en direct, le viol qu'elle venait de subir, dans un hôtel du Cap où elle se trouvait dans le cadre d'une tournée internationale pour sa cause - l'Afrique du Sud est notoirement gangrenée par les abus sexuels. L'agression, dit-elle, a eu lieu dans la douche de sa chambre, où elle s'était retrouvée avec une vague connaissance, un homme qui avait déjà essayé de l'embrasser et qui s'est invité dans cette chambre. La première photo postée, un selfie, la montre en pleurs, encore dans la douche. Elle détaille la scène, explique que l'homme l'a contrainte à un rapport sexuel alors qu'elle s'y refusait, pleurait. Suit une photo à l'hôpital, avec le «kit du viol» en évidence.

Ce qu'Amber Amour explique à Marie Claire : «J'ai immédiatement su que je ne pourrais pas garder secret ce qui m'était arrivé. Moi qui dis chaque jour aux survivants qu'il faut qu'ils s'expriment… Il fallait que je mette en pratique ce que je prêche. […] J'étais encore dans la douche – la scène du crime. Je ne me rappelle même pas m'être levée. J'ai juste écrit, écrit. J'ai raconté l'histoire honnêtement – j'ai voulu transmettre le message que quoi qu'une personne fasse, elle ne mérite pas d'être violée, elle ne l'a pas demandé, et elle ne s'est pas mise dans la situation de l'être.» Suite à ses posts, Amber Amour n'a pas recueilli que du soutien de la part de la cybercommunauté, d'aucuns mettant en doute la véracité de ses propos et de la situation d'agression.

Geste surréaliste

Mais ne faut-il pas sursauter d’autre chose ? De stupéfaction, par exemple, face à ce qui apparaîtra pour certains qu'au lieu d’appeler en priorité à l’aide, des proches ou pourquoi pas ses voisins d’hôtel, Amber Amour a d’abord pensé à Instagram où elle compte 27 000 followers. Pour raconter une expérience on ne peut plus intime et dramatique. Le viol comme fond de commerce, déduiront les cyniques. Le monde à l’envers, la confusion des genres et des espaces (virtuel/réel, privé/public), le narcissisme poussé jusqu’à l’autoflagellation, on préférera. Ceci dit, aussi surréaliste voire scabreux le geste d’Amber Amour puisse-t-il paraître, ne remplit-il pas le but de l’activiste, et ne constitue-t-il pas une forme de courage ? Celle de restituer la violence du viol et les traumatismes physique et psychique collatéraux. Dans la majorité des cas, les victimes se taisent et se terrent alors qu’il y a quelque chose du poing levé, du refus de la honte, dans les posts d’Amber Amour.

Amber Amour raconte que suite à la cybertempête suscité par ses posts, elle a «renoncé et fait un break avec les réseaux sociaux, ma tête était sens dessus dessous». Elle s'est depuis remise en (première) ligne.