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«Bowie avait l'âme d'un archiviste de sa propre vie»

La mort de David Bowiedossier
Scénographe de l'exposition «David Bowie is» passée par la Philarmonie de Paris au printemps 2015, Clémence Farrell raconte comment elle l'a adaptée en France.
La gabardine illustrant la couv de «Earthling», album sorti en 2005. (Photo Samuel Kirszenbaum)
publié le 11 janvier 2016 à 20h17

A la tête de l'agence du même nom, Clémence Farrell a été choisie par la Philharmonie de Paris pour réaliser la scénographie de l'exposition «David Bowie is», au printemps 2015. Elle raconte comment elle a «adapté» cette rétrospective de la vie de la pop star créée au Victoria and Albert Museum de Londres en 2013 et qui depuis voyage dans le monde entier. Après avoir rencontré un grand succès à Paris (200 000 entrées, soit le maximum possible à la Philharmonie), «David Bowie is» fait actuellement étape à Groninge, dans le nord des Pays-Bas jusqu'au 13 mars, dernière étape de sa tournée européenne.

Comment travaille-t-on sur une exposition conçue et créée ailleurs ?

On se nourrit d'abord des retours d'expérience des autres lieux où elle est passée en essayant de corriger les petits défauts qui ont pu être constatés ça et là. A Paris, on a donné un axe plus musical à la présentation de cet artiste protéiforme. On l'a rendu plus visible en agrandissant certains écrans comme ceux diffusant Life on mars ou Space Oddity. Quand on travaille sur ce genre d'expos internationales, on reçoit une charte très précise sur ce que doit être chaque salle. Mais cela ne nous a pas empêchés d'apporter notre petite touche sans altérer l'œuvre originale bien sûr car il s'agit bien d'une œuvre à part entière.

Qu’avez-vous modifié ou apporté ?

On a fait un traitement sur la signalétique des salles en leur donnant des caractères surréalistes bien dans l'esprit de Bowie selon nous. On a créé des lettres en paillettes, en miroir, clins d'œil à l'esthétique glam qui était celle de Bowie. Mais le morceau de bravoure, c'était de trouver le moyen d'adapter le dispositif majeur des extraits de concerts projetés dans une salle de 12 mètres de haut au VAA de Londres dans un espace qui n'en faisait que 4 à Paris ! On a donc refait le film à Paris dans un mode horizontal alors qu'il était vertical à Londres. Il y a aussi cette pièce où des livres sont positionnés en hauteur, comme des oiseaux, on a amplifié cette image d'envol en en faisant une sculpture, quelque chose de plus artistique, moins arts déco. On met notre patte, très humblement.

Quelle est la démarche du scénographe lorsqu’il s’attaque à une matière tellement récente, vivante, qui fait partie de sa propre culture ?

C'est en quelque sorte celle du premier visiteur et c'était encore plus fort dans le cas de Bowie parce qu'on le connaît tous, qu'il fait partie de nos vies. L'exposition montre bien le sens esthétique quasi inné de Bowie et à quel point sa démarche englobait tous les arts, s'exprimait sur tous les supports à la manière d'un artiste contemporain plus que d'un musicien. C'est quelque chose de jouissif de pouvoir mettre en scène une matière aussi riche et variée et ce d'autant plus que l'on sent à quel point Bowie avait une âme de collectionneur, d'archiviste de sa propre vie, comme si tout ce qu'il a fait dans sa carrière avait aussi été pensé dans l'idée d'être rassemblé au même endroit, dans cette unité de lieu, d'action et de temps qu'est une exposition. On le voit d'ailleurs dès la première salle, plus intimiste, consacrée à ses très jeunes années d'artiste, c'est quelqu'un qui pensait à sa postérité depuis qu'il a eu 17 ans.

Avez-vous eu des relations avec David Bowie ou ses proches au cours du montage de l’exposition ?

Nous n'avons eu de rapports qu'avec les commissaires anglais du Victoria and Albert Museum de Londres ainsi que ceux des autres expositions qui eux-mêmes ont travaillé avec la fondation qu'a créée David Bowie. S'il s'est tenu au courant du montage de l'exposition à Londres, il n'est pas venu au vernissage ni même peut-être après. A une époque où vie publique et privée sont souvent totalement mélangées, il est d'ailleurs marquant de constater qu'il n'y a rien dans l'expo qui ait trait à sa vie privée, il n'est question que de l'artiste, du personnage, du mythe Bowie.

Les Français ont-ils une manière différente de traiter ces thématiques que les Anglais ?

Les Anglais ont inventé la pop culture et ont longtemps eu un rapport beaucoup plus naturel, moins coincé que les Français à la culture populaire. Ils ont fait des musées du rock bien avant tout le monde et n'ont pas ces problèmes de bon goût, d'académisme des Français qui n'osaient pas se lâcher. Mais les choses ont changé aujourd'hui, le mélange des thèmes et des supports, la présence de mannequins, toute cette approche encore nouvelle en France il y a une vingtaine d'années s'est largement diffusé dans le monde muséal. Les Français se sont mis à niveau et savent eux aussi très bien concevoir ces grandes expositions immersives où le son et l'image ont une place prépondérante, avec beaucoup d'interactivité. Cette expo est à la hauteur du mythe, encore plus immense que va devenir Bowie maintenant qu'il est mort, et c'est tout son mérite d'avoir également réussi à émerveiller des publics plus jeunes qui ne font pas partie de sa génération et l'ont découvert à cette occasion.