Menu
Libération
Témoignage

Tony Oursler : «Bowie n’était pas dans le même espace-temps que nous»

La mort de David Bowiedossier
Capture du clip de «Where are we now ?»
publié le 12 janvier 2016 à 13h03
L’artiste américain Tony Oursler a réalisé le clip «Were are we now», en 2013. Pour Libération, il revient sur sa rencontre avec Bowie et sa vision de l’icône.

«Lorsque j'ai rencontré David, j'ai eu l'impression de rencontrer un composite d'énergie chargé de magie, de mythe médiatique, de glam: il n'était pas dans le même espace-temps que nous, simples mortels. Ce type que j'avais écouté et observé depuis ma jeunesse, avec ma sœur, analysant ses albums avec mes écouteurs, était dans mon studio. Il est venu me voir dans mon atelier pourri, il m'a fallu une heure pour me calmer, on a parlé, il s'intéressait à l'art, comment on le produit, comment les artistes vivent. Des idées, toujours des idées. Café, cigarettes. Il adorait mes œuvres projetées, on finirait par en créer une ensemble, qui se trouve dans les collections de Beaubourg grâce à la commissaire Christine VanAssche. A la fin de sa visite, le personnage imaginaire s'était transformé en vrai humain, juste devant moi. Une amitié qui a duré de nombreuses années a commencé. A cette époque, j'étais convaincu que David Bowie était l'incarnation d'un nouveau paradigme qui avait à voir avec le concept de trouble de la personnalité multiple. C'était un précurseur de la culture des médias qui allait saturer le monde d'un flot d'histoires totalement juxtaposées. Je crois que, d'une certaine façon, nous créons les technologies dans le but de produire les effets que nous recherchons. Et tout le monde voudrait avoir la capacité de se transformer dans la créature désirée, pour éprouver la liberté de contredire son histoire, personnelle ou publique.

«Il paraissait taillé pour son rôle d'une façon toute surnaturelle avec sa voix unique, ses deux yeux différents et son visage... Je me souviens de la première fois où je l'ai filmé, j'ai été bluffé quand j'ai retourné la caméra. Il paraissait encore plus David Bowie à travers la lentille électromagnétique de la caméra qu'en réalité. Mon regard allait successivement de son visage à l'écran dans une tentative infructueuse de comprendre ce qui s'était passé dans ce moment de transformation. C'est comme s'il était né pour être propagé. Pour se partager, comme une chimère de science-fiction qui devenait encore plus puissante en se démultipliant. Mais la vérité est toujours plus complexe. L'alien peut être finalement encore plus humain que l'être humain. Je crois, en fait, que David Bowie a atteint un méta-statut culturel qui, au fond, n'a rien à voir avec les disques d'or et le glamour. Les images et le son Bowie parlent aux créateurs outsiders, aux jeunes enfermés seuls dans leur chambre qui se sentent bizarre. Son œuvre a la faculté d'enflammer l'instinct de création des autres, dans de multiples domaines. Que peut-on demander d'autre à la vie d'un artiste?»