Menu
Libération
Top chrono

Les rois du sport en scène

Le comédien Jacques Gamblin et le danseur Bastien Lefèvre recréent sur les planches une préparation intensive à la compétition dans «1 heure 23’14’’ et 7 centièmes», mise en scène par le comédien.
Le danseur Bastien Lefèvre et Jacques Gamblin, dans la pièce «1 heure 23' 14" et 7 centièmes» mise en scène par le comédien, le 13 janvier 2015 à la Maison de la culture d'Amiens. (Photo Pascal Gely)
publié le 20 janvier 2016 à 20h02

On n'arrête pas Jacques Gamblin. A l'affiche de quatre films en 2014 (dont Hippocrate de Thomas Lilti), le personnage se fait ensuite plus rare… Du moins sur les écrans. Car s'il s'absente des plateaux de tournage, c'est pour mieux rebondir (courir, sauter, trotter…) sur les planches, appréhendées comme un nouveau terrain de jeu propice à une créativité féconde.

Pas de deux sadomaso

Créé en 2010, son Tout est normal mon cœur scintille avait laissé le souvenir d'un petit modèle de délicatesse stylistique où la question du corps occupait une place d'autant plus essentielle que deux comparses, la danseuse Claire Tran et le danseur Bastien Lefèvre, encadraient le comédien dans son coq à l'âne (qui incluait, entre autres, un éléphant, une musaraigne, etc.). Depuis, toujours au rayon du bien nommé spectacle vivant, Jacques Gamblin a fait honneur à Romain Gary (la Nuit sera calme) et durablement déclaré sa flamme au jazz, en collaborant notamment avec le musicien Laurent de Wilde.

Sur les routes en ce début d'année (Antibes, Agen, Toulouse…), 1 heure 23' 14'' et 7 centièmes marque les retrouvailles du comédien avec Bastien Lefèvre, l'un et l'autre partageant cette fois équitablement l'espace. Mais c'est sur un mode notablement sadomasochiste que se joue le pas de deux, dans le bleuté sobre du décor recréé d'un gymnase qui évoquera aussi bien la Répétition de Pascal Rambert (dont la direction toute chorégraphique des quatre comédiens était parachevée par les mouvements de Claire Zeller), que l'éprouvant Foxcatcher de Bennett Miller, sorti fin 2014 au cinéma.

Unis par le même dessein, Gamblin et Lefèvre dessinent ensemble les contours d’un entraînement sportif pour le moins intensif – où l’on s’amusera à distinguer les gestes renvoyant à telle ou telle discipline (natation, hand, boxe…). L’un joue le coach, l’autre l’athlète. Si le premier parle beaucoup (trop), le second, lui, ne bronche pas (sauf une fois, le temps d’un geyser d’injures adressées à son tourmenteur), occupé qu’il est à écouter les conseils, réciter inlassablement le même geste, encaisser sans moufter ces mille et une brimades censées lui permettre, le jour J, de se surpasser.

Sacro-sainte émulation

A la beauté de l'effort se superpose parfois l'inanité des mots, formules (magiques ?) proférées au nom de la sacro-sainte émulation sportive («Ton talon, c'est déjà du passé»), jusqu'à embrasser l'absurdité du conditionnement («Je ne veux pas de cerveau !»).

Lumière et bande-son soignées, interprétation au cordeau (on imagine tout le boulot fourni en amont), l'ensemble possède une vraie cohérence. Mais ne parvient pas, cependant, à dissiper la sensation d'ennui qui poind ça et là, tant l'ingratitude du geste mécanique menace l'originalité – indéniable – du propos artistique. «Une heure dix-sept minutes quarante-trois secondes et sept centièmes», annonce néanmoins fièrement Jacques Gamblin, à la fin du spectacle, chronomètre en main, content du nouveau record de vitesse établi. Comme quoi…

1 heure 23'14'' et 7 centièmes, de Jacques Gamblin et Bastien Lefèvre, au CentQuatre, 5, rue Curial, 75019.
Rens. : 01 53 35 50 00, jusqu'au 24 janvier. Et en tournée.