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Libération
Disparition

George Martin, père de tous les producteurs

Le découvreur des Beatles était l'inventeur de l'album moderne, et le premier à envisager le studio d'enregistrement comme un instrument à part entière.

George Martin au début des années 60. (Photo handout. Reuters)
Publié le 09/03/2016 à 15h46, mis à jour le 09/03/2016 à 16h01

Mort mardi à 90 ans, George Martin n'était pas seulement le découvreur éternel des Beatles, un grand arrangeur de pop et ce mogul de l'industrie phonographique britannique qui transforma Parlophone, de «triste petite succursale» d'EMI, en label fer de lance du rock anglais. Aux côtés des Beatles, qu'il aura accompagnés de l'enfance de l'art jusqu'à leur dissolution, mais aussi de Gerry & The Pacemakers, Shirley Bassey ou Maddalena Fagandini du BBC Radiophonic Workshop avec laquelle il enregistra sous le nom de Ray Cathode le premier hit électronique de la pop britannique, George Martin aura ouvert plus de portes que tous ses contemporains magiciens du son enregistré. Il était le Père de tous les producteurs, et l'inventeur de l'album moderne.

Jusqu'à Revolver et surtout Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, les deux albums qui firent passer les Beatles de la pop music au pop art, la coutume implicite de la haute-fidélité indiquait qu'un disque de musique populaire devait être enregistré de la manière la plus naturaliste possible, live and direct, et qu'il donne l'impression à l'auditeur d'écouter les musiciens comme s'ils se tenaient à ses côtés. A partir de Yesterday, enregistrée en solo par Paul McCartney quatre jours avant son 23e anniversaire pour la bande-originale de Help !, la pop est passée dans l'ère de la fiction : arrangées avec gourmandise par Martin lui-même, ses cordes inspirées par Bach et le renouveau de la musique baroque en Grande-Bretagne avaient l'air de débarquer d'un outre-monde qui n'avait plus rien à voir avec le studio où il avait été enregistré, ni avec la réalité.

Disque-monde 

Outre la modernisation progressive des studios d'enregistrement (notamment le passage du magnétophone deux pistes au quatre pistes en 1963, qui permettait la démultiplication de couches et donc des possibilités par la technique dite du «ping-pong»), on doit d'abord à Martin, puis à Lennon et McCartney, cette intuition un peu folle du disque-monde qui allait aboutir à la folie labyrinthique de Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band et emmener la pop toute entière vers cet autre côté du miroir où erraient jusque-là les fantômes de la musique concrète et de l'avant-garde électronique.

En d’autres termes, George Martin fut parmi les premiers à envisager le studio d’enregistrement comme un instrument à part entière, dont la performance des musiciens et des vocalistes n’était qu’un maillon parmi d’autres dans de vastes organismes tissés d’illusions sonores, d’effets magiques et de faux-semblants. Libérée pour de bon du carcan réaliste, la pop a depuis vécu 100 000 vies imaginaires, puis 100 000 de plus avec l’avènement de la musique sur ordinateur.

Martin, assez curieusement, ne revendiqua jamais les honneurs de ce renversement majeur et se retira assez largement du champ de l’invention après la séparation des Beatles en 1970 pour une casquette d’arrangeur/producteur de l’ombre qui seyait mieux à son tempérament. Pour leur plastique fabuleuse et leur faculté inégalée à ouvrir le troisième œil de l’auditeur de pop, les plus grands albums qu’il a conçus main dans la main avec les Fab Four, l’ingénieur du son Geoff Emerick et les équipes d’Abbey Road font partie des très rares disques de l’histoire de la musique populaire à ne jamais avoir souffert du poids des années, ni perdu de leur superbe devant les aléas de l’actualité.