Zaha Hadid n'était pas connue pour son affabilité. Star de l'architecture, au même titre que celui qui fut son professeur d'université, Rem Koohlhaas, ou bien que Jean Nouvel en France, elle frappait ses interlocuteurs par sa capacité a les désarmer, à s'imposer dans une foule ou une tribune de conférence. Elle n'aimait guère parler de ses origines irakiennes, refusait d'être cantonnée au rôle de «femme architecte»… Pourtant, le bureau Reuters de Bagdad s'est fait une obligation d'écrire une dépêche pour annoncer le décès de cette enfant du pays. Et l'on est bien obligé de souligner qu'elle fut la première femme à recevoir le Pritzker Prize (en 2004), la Royal Gold Medal du Riba, l'ordre britannique des architectes (en 2016). Et la première femme tout court à avoir dans son métier une aussi forte renommée internationale.
Cette faculté à désarçonner n’était pas qu’une posture sociale, c’était également un parti pris esthétique. Par exemple, pour son tout premier bâtiment en son nom, la caserne de pompiers du site du fabricant de meubles Vitra (1994), à Weil am Rhein (parc de «folies» architecturales a la frontière suisso-allemande). Dans le bâtiment, épuré au regard de la suite de son travail, tout était fait pour donner au visiteur l’impression de flotter. Jusque dans la salle de repos des pompiers, dans leur cafétéria, l’angle des murs, la lumière donnent le sentiment saisissant d’être dans un bateau, jamais vraiment stable.
Noir et blanc
L’œuvre récente de Hadid était marquée par un certain sens du gigantisme. Ainsi du bien nommé musée Maxxi, dans un quartier calme du nord de Rome. Visiter le bâtiment noir et blanc, c’est comprendre ce qu’une architecte contemporaine, au statut unique qui était le sien, avait à dire dans un tel contexte architectural, dans une telle ville. Salles immenses, gigantesque escalier noir structurant l’ensemble et prenant des airs de rampe d’un palais grand siècle, couleur blanche tranchant à vif avec l’ocre et le doux orangé des bâtiments romains joliment décatis, le Maxxi a quelque chose d’une démonstration de force architecturale, validée par les autorités et sans grande délicatesse.
Dans la nécrologie que l'on peut lire sur le site de Zaha Hadid, un esprit espiègle a écrit que «dans notre culture de circonspection et de modestie, son travail n'est certes pas modeste, et elle même ne l'est pas non plus». «Peut-être une partie de ses méthodes et de son esprit restent-ils mésopotamiens…», ajoutait le biographe. Ils sont en tout cas ceux d'une star, qui attendit longtemps la célébrité mais l'utilisa ensuite pour ne plus transiger sur ses choix.
Zaha Hadid travaillait pour toutes sortes de clients, du géant du luxe Chanel qui lui commanda le «mobile art» un pavillon-musée itinérant, jusqu'aux autorités d'Azerbaïdjan, avec le Heydar-Aliyev Center, du nom de celui qui fut le leader soviétique du pays puis son président de 1993 à 2003, laissant un souvenir pour le moins impérissable aux militants des droits de l'homme. Internationale avant tout, elle aura construit partout : un opéra à Canton, des musées à Cincinnatti, Wolfsburg, Glasgow, mais aussi des ponts et un centre commercial géant en Corée du Sud.
Star
En France, a-t-elle fait peur aux maîtres d’ouvrage ? En 2001, elle avait décroché une mention au prix de l’Equerre d’argent pour un modeste terminal de tramway à Strasbourg. Mais cela n’a manifestement pas inspiré d'autres commanditaires. Il faudra attendre 2011 pour que l’on puisse voir en France un édifice conséquent, avec le siège de la compagnie CMA-CGM que les armateurs Saadé se sont offert sur le port de Marseille et qui n'est peut-être pas ce que l'on peut rêver de plus élégant. Seule collectivité audacieuse, l'agglomération de Montpellier lui fera construire Pierresvives, un centre d'archives qui aura au final coûté deux fois plus cher que prévu.
Le statut de star qu'elle avait obtenu faisait souvent oublier que Zaha Hadid avait été, dans les années 70 – ses années étudiantes et aussi les premières de sa carrière – une critique passionnante, notamment pour la revue de son école, la mythique Architectural association school of architecture à Londres, jonglant avec les concepts avec une liberté folle, réinventant avec d'autres le bagage théorique de sa génération. C'est d'ailleurs avec celui qui y fut son professeur, Rem Koohlhaas, qu'elle démarra en travaillant pour l'agence OMA à Rotterdam à la fin de ces années-là, imposant un statut de l'architecte à la fois constructeur et grand théoricien des chamboulements du monde.
Agée de 64 ans, Zaha Hadid a succombé à une crise cardiaque alors qu’elle était hospitalisée à Miami pour une bronchite.