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Libération
Disparition

Tony Conrad, humble et fantasque

Figure aussi cruciale que mal connue des avant-gardes new-yorkaises, l'excentrique cinéaste expérimental et compositeur est décédé samedi, à 76 ans.

Tony Conrad en avril 2015. (Photo Mike Coppola. AFP)
Publié le 10/04/2016 à 18h00

Quand le label américain Table of the Elements a édité en 1997 le coffret Early Minimalism Volume 1, Anthony Schmaltz «Tony» Conrad n'était pour la plupart des mélomanes qu'une note de bas de page dans l'histoire de la musique expérimentale américaine. Bien moins connu que son mentor, La Monte Young, ou son collègue John Cale, cet authentique excentrique né en 1940 et formé à la marge de Fluxus a pourtant initié quelques-unes des idées musicales les plus fondamentales de la seconde moitié du XXe siècle — parmi lesquelles le drone (bourdon) réduit à sa forme la plus radicale et élémentaire — et largement participé à l'éclosion d'une sensibilité conceptuelle dans le rock.

Son film The Flicker, produit en 1966 avec l'aide de Jonas Mekas, reste comme l'un des gestes les plus décisifs du cinéma expérimental. Au sein du légendaire Theatre of Eternal Music de La Monte Young, surtout, Conrad a développé aux côtés d'Angus McLise, Marian Zazeela, John Cale et parfois Terry Riley un jeu de violon radical et une sensibilité viscérale au son dont les échos se font encore entendre aujourd'hui dans la musique électronique ou le drone doom de Sunn O))).

La malédiction de Tony Conrad a longtemps été que sa musique était impossible à entendre ailleurs que dans celle des groupes qu’il influençait, notamment le Velvet Underground qui développa largement les idées expérimentées par The Primitives, groupe formé en 1964 par Conrad et Cale avec le batteur Walter de Maria et Lou Reed. Les enregistrements du Theatre of Eternal Music sont toujours retenus en otage par La Monte Young qui refuse depuis cinq décennies d’en partager la paternité quand bien même la musique du collectif était le fait de séances d’improvisation prolongées.

Jusqu'à la publication de Slapping Pythagoras (1995) et Early Minimalism, un seul disque de Tony Conrad existait : Outside The Dream Syndicate, enregistré à la hâte en Allemagne en 1973 avec le groupe anarcho-libertaire Faust qui reste comme l'un des moments phare du krautrock. Réhabilité à la fin des années 90 par son disciple Rhys Chatham, Jim O'Rourke et David Grubbs du groupe Gastr del Sol, Tony Conrad a également fait en 2008 l'objet d'un très touchant portrait documentaire de Marie Losier, DreaMinimalist, où sa personnalité humble et fantasque se révélait pour la première fois hors du cercle de ses intimes ou de ses élèves à l'université d'Etat de New York à Buffalo, où il enseignait toujours. Il devait prendre sa retraite au mois de mai.