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Série

Un «Preacher» sachant pécher

Blockbuster télé de la saison, la série de Evan Goldberg et Seth Rogen, adaptée d’un comics des années 90, a perdu en route toute saveur malgré quelques saillies grotesques.
Dominic Cooper en Jesse Custer. (Photo AMC)
publié le 17 juin 2016 à 18h21

Vers les sommets du grand marronnier des séries-les-plus-attendues-de-l'année, Preacher revenait en 2016 avec régularité dans les publications spécialisées outre-Atlantique, d'Indiewire à Variety. Il faut dire que depuis une vingtaine d'années, les tentatives d'adaptation de ce comic book des nineties qui sent bon le soufre et l'anticléricalisme n'ont cessé de s'ensabler. Kevin Smith (Clerks) puis Sam Mendes (007 Spectre) ont projeté d'en faire un film, le tâcheron Mark Steven Johnson a été jusqu'à présenter une adaptation télé à HBO, mais c'est finalement entre les mains du duo Evan Goldberg-Seth Rogen, expert en comédie plus ou moins grasse (Superbad, This Is The End), que les droits ont échoué avec, derrière eux, la chaîne câblée AMC.

L'histoire qui excitait tant de convoitises est celle d'un pasteur brutal, Jesse Custer, qui se met en tête de retrouver Dieu pour lui faire payer son abandon de poste après qu'un pouvoir tombé du ciel lui a permis de se faire obéir de quiconque. Un voyage outrancier où se croisaient une femme à poigne, un vampire soiffard irlandais, un homme à tête de cul (littéralement) et un pape obèse et conspirationniste. Dans la grande famille des adaptations de comics, Preacher devait jouer le rôle de l'oncle grossier et pervers. Tout un programme.

Le Jesse Custer du comics.

Après trois épisodes diffusés (sur OCS en France), la série télé semble avoir fait le choix du road trip immobile, s'arrimant à son petit bled texan pour y faire monter la pression. Mais encore faudrait-il que le cadre soit bien posé. Car la peuplade de demeurés de Preacher apparaît bien morne à côté de celles mises en scène ces deux dernières années par l'inattendue série Fargo, qui réinterprète en finesse l'amour des frères Coen pour les communautés consanguines retranchées. Malgré un budget généreux, tout semble coulé dans un moule grossier, du chauffeur de bus pédophile refoulé au shérif à l'esprit étroit et au physique porcin, en passant par le duo de tueurs (un grand-un petit, évidemment) peu causant, lancé aux trousses de Custer.

Scénaristes délicats mais réalisateurs sans éclat, Goldberg et Rogen avaient jusque-là réussi à insuffler un ton à leurs films. Ce qui manque cruellement à Preacher : entre le révérend qui dégouline de gravitas et les saillies gore du vampire Cassidy, seules de rares incartades du côté du grotesque (l'explosion hors champ de Tom Cruise suivie de funérailles nationales qui s'étalent d'un épisode à l'autre, un quiproquo autour d'une épouse masochiste…) réussissent à s'extirper d'un ennui poli.

L'entreprise était peut-être condamnée d'avance, Eric Thurm du magazine Wired faisant remarquer (pour chanter, lui, les louanges de la série) combien Preacher était le produit de son époque, «le truc le plus nineties que les années 90 aient produites, comme si on avait passé au pilon Pulp Fiction, l'affaire Monica Lewinsky et l'intégrale de Rage Against the Machine pour en tirer une poudre à Nesquik qu'on aurait arrosée d'Oasis et d'un zeste de paranoïa sur le bogue de l'an 2000». Passé à l'écran deux décennies plus tard, pire que nul, Preacher est devenu fade. A l'image d'ailleurs de la plupart des séries les plus attendues de 2016.