Lorsque Mailan fuit la guerre du Vietnam avec son père et sa mère en août 1976 pour s'installer près de Brest, elle n'a que 15 mois. Ses parents ont deux autres enfants, des filles. Le couple ne parle que très peu le français, mais désire s'intégrer le plus rapidement possible dans son pays d'accueil. Lui est éboueur, elle tient un restaurant près de Brest. Les trois filles se voient toutes attribuer des prénoms français d'emprunt. Pour autant, les parents conservent la tradition vietnamienne. Surtout le père, pour qui, même en France, avoir un «héritier» est une obligation. «Il voulait absolument avoir un garçon. A l'époque, c'était s'assurer qu'il porterait son nom de famille, explique Mailan âgée de 41 ans aujourd'hui. C'est la génération qui continue, mon père voulait avoir une descendance.»Un nouvel enfant naît à Brest. Encore une fille. Puis une autre. Et une troisième. Au total, Mailan et ses sœurs seront six filles. Au grand dam de son père. «Il en était malheureux. Il nous a toujours fait comprendre qu'il aurait préféré avoir un garçon, mais moi, ça ne m'a pas dérangée. J'ai accepté, je ne lui en ai pas voulu pour ça,explique Mailan qui reconnaît quand même avoir eu une éducation plus difficile. Il était encore plus strict parce qu'il n'avait eu que des filles. Lui avait fait des bêtises lorsqu'il était plus jeune et il avait peur que l'on tombe dans les filets des garçons. C'était des voyous pour lui. Du coup, on n'avait pas tellement le droit aux sorties ni au reste.»
Quand les parents de Mailan divorcent, en 2003, son père part refaire sa vie au Vietnam où sa nouvelle femme tombe enceinte. Il a alors 64 ans et l'espoir d'avoir enfin le garçon tant espéré. Mais il aura encore une fille. «Il faut croire que mon père ne peut avoir que des filles», ironise Mailan. Devenue éducatrice dans un centre de loisirs, elle est mère de… trois filles et remarque une différence de traitement entre les petits-enfants de la famille : «Mon père s'occupe beaucoup plus de ses petits-enfants garçons. Peut-être parce qu'il s'est trop occupé de filles.»
Caprice de société
Ce comportement n'est ni nouveau ni isolé. En Asie, et particulièrement en Chine, en Inde ou en Afghanistan, le désir d'avoir un garçon est toujours très présent. Plusieurs raisons culturelles et religieuses expliquent ce vœu: le nom sera pérennisé, c'est le garçon qui travaille et qui s'occupera des parents lorsqu'ils seront âgés et c'est lui qui défendra l'honneur de la famille… quand la fille, elle, est amenée à quitter le foyer après son mariage. Un système de dots existe d'ailleurs pour compenser ce départ. Gilles Pison, chercheur à l'Institut national d'études démographiques, confirme : «La place des femmes est réduite, ce qui fait que les familles tiennent beaucoup à avoir au moins un enfant mâle pour perpétuer la lignée masculine.»Le tout, couplé à certaines politiques publiques - celle de l'enfant unique qui avait cours en Chine jusqu'en janvier 2016, par exemple -, provoque des déficits notables de naissances féminines dans des pays où l'on déplore des taux d'infanticides ou d'avortements de filles anormalement élevés.
Egalement inquiétant, de récents rapports en Angleterre, aux Etats-Unis ou en Norvège, constatent un taux étonnamment important de naissances masculines dans les communautés immigrées d’Asie. Ainsi, selon l’Ined, il y aurait, par exemple, outre-Manche 113 naissances masculines pour 100 féminines parmi les familles d’origine indienne.
Il serait cependant illusoire de prétendre que la question ne se pose que parmi des populations précises. En France aussi, ce désir d'enfant mâle existe, et pas seulement dans les couples issus de l'immigration. Mais il se double, contradictoirement, d'un désir de filles chez d'autres couples. En fait, plus qu'à des traditions familiales ou culturelles, cette volonté de choisir le sexe de son enfant peut plutôt se lire comme un caprice de société. A l'heure de la chirurgie esthétique, des fécondations in vitro ou des progrès de la génétique, il paraît incompréhensible à certains de ne pas être maîtres d'un élément apparemment moins complexe, à savoir seulement déterminer à l'avance le sexe de sa propre progéniture. Et il serait presque humiliant de devoir continuer à subir cette incertitude en plein XXIe siècle.
Calculs de probabilité
Ce désir n'est pas toujours si interchangeable que ça. Si certains souhaitent à tout prix un garçon, d'autres rêvent de layettes roses, bien que la misogynie ait la vie dure. Pour preuve, les forums de discussion sur Internet où la plupart des confessions sont celles de géniteurs de plusieurs filles, déjà. Certains font des calculs de probabilité pour savoir quelle chance ils auront de voir naître un garçon, en prenant en compte le nombre de filles qu'ont eu leur mère, leurs sœurs ou leurs grands-mères. Sur le site Aufeminin.com, l'une d'elles s'interroge ainsi : «Ma mère a eu 5 filles et moi, j'ai déjà deux filles de 8 et 5 ans et là je suis enceinte pour la troisième fois. Je suis à trois mois de grossesse et je ne connais pas le sexe de mon bébé. Y aurait-il une chance pour que j'aie un petit garçon ou non ?» Réponse d'une utilisatrice : «J'ai entendu parler que plus on avait d'enfant du même sexe, plus on avait de chances d'avoir encore le même sexe. On peut dire 50 %, mais je pense que c'est quand même bien moins.»
En mai 2015, une Américaine, Kateri Schwandt, donnait naissance à un treizième garçon consécutif. Un événement qui avait alors divisé les mathématiciens du pays, cherchant à connaître la probabilité de mettre au monde uniquement des garçons. Certains d’entre eux avaient estimé, en se référant aux calculs du mathématicien Martin Gardner, que la récurrence de naissances du même sexe n’y change rien : il y aurait, d’un point de vue purement statistique, une chance sur deux d’avoir un garçon. Et peu importe le nombre d’enfants du même sexe qui ont précédé.
Manger des testicules de lapin ou prier sainte Anne
Quand certains parents optent pour un régime drastique - notamment celui du Dr Papa (gynécologue au nom prédestiné) qui préconisait, à la fin des années 70, une alimentation riche en sodium et potassium -, d'autres n'hésitaient pas à avoir recours à des techniques bien plus farfelues pour donner naissance à un garçon. On peut ainsi manger des testicules de lapin avant la conception, éviter de faire l'amour à la pleine Lune (qui favorise les filles), se comprimer le testicule gauche pendant le coït (explication : les spermatozoïdes féminins seraient plus en nombre dans le testicule gauche que dans le droit - le pincer fort au moment de l'éjaculation en réduirait donc le nombre), favoriser les pénétrations profondes de type levrette, effectuer une douche vaginale avec un litre d'eau et du bicarbonate de soude (remplacer par du vinaigre d'alcool si l'on veut une fille), prier sainte Anne, mère de la sainte Vierge si on est catholique ou s'adresser directement à Dieu si l'on est juif (le mieux étant d'intercaler cette demande dans la bénédiction Chema Kolenou de la Amida. Mais il paraît que ce n'est pas obligatoire).