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Libération
«Les séries font la loi»

Sorry télé

Les arbres à succès comme «Game of Thrones» cachent une forêt d’échecs, ceux de toutes ces séries américaines qui s’arrêtent avant terme. Un choc parfois dur à digérer pour les fans.
«Vinyl», créé par Martin Scorsese, a été arrêté après la première saison, lancée en février. (Photo HBO)
publié le 31 juillet 2016 à 17h11
(mis à jour le 1er août 2016 à 16h43)

Vinyl renvoyé aux oubliettes après une petite saison, malgré sa qualité, malgré le pedigree de ses créateurs (Mike Jagger et Martin Scorsese), malgré nous qui en parlions en février comme d'une «éclatante réussite». C'est brutal, et Vinyl partage son triste destin avec beaucoup d'autres. The Grinder, Nashville, Person of Interest, Agent Carter… Autant d'histoires fauchées avant même d'avoir pu entrevoir un dénouement. Comme chaque année, les mois de mai et juin 2016 ont été un carnage. C'est au printemps que les chaînes américaines communiquent sur leurs fictions de rentrée. On découvre alors celles qui ne sont plus là, et laissent personnages, créateurs, acteurs et fans sur le carreau. Comment en arrive-t-on à une telle extrémité ? Qu'est devenu Jarod ? Et l'équipage du Serenity ?

Un seul épisode

Le plus grand des cimetières est celui des séries qui n'ont jamais rencontré leur public. Un seul épisode au compteur, le pilote envoyé aux networks, qui l'ont refusé. Pour la plupart, on ne connaît même pas leur existence. Quelques-uns sont cependant sortis de l'anonymat, comme Wonder Woman, qui devait faire son retour à l'écran en 2011 (on se souvient tous de la série de la fin des années 70). Mais l'héroïne de l'écurie DC a eu droit à un épisode si catastrophique (en justicière ultra-violente et femme d'affaires, on peut encore le voir sur le Net) que personne ne regrette la décision de NBC. Autre exemple, en 1998, ABC commande un pilote de deux heures à David Lynch pour 7 millions de dollars. Ce dernier est refusé l'année suivante, car le rythme très lent est jugé incompatible avec le format télé. Lynch s'en servira de base pour en faire un de ses plus grands longs métrages, tout en gardant son nom : Mulholland Drive.

Une demi-saison, ou moins…

Même passée l'étape du pilote, une série n'a aucune garantie d'atteindre la fin de la première saison. Certaines ne parviennent même pas à la moitié. Comme pour le très bon Profit, diffusé sur la Fox en 1996 et trappé au bout de quatre épisodes. Les aventures de Jim Profit, cadre sociopathe à l'ambition dévorante dans une multinationale, ont choqué les téléspectateurs - les croyants parlant de «Satan en costume», les milieux d'affaires regrettant la mauvaise image véhiculée - qui ont saturé les lignes téléphoniques de la chaîne pour se plaindre. Les huit épisodes tournés seront diffusés en intégralité quelques mois plus tard sur Sky 2 au Royaume-Uni et sur Canal Jimmy en France.

Mais la première étape charnière est généralement le treizième épisode. La plupart étant prévue pour avoir 22 épisodes par saison, la chaîne commande d'abord la première partie, qu'on appelle le «front 13», avant de valider la deuxième, le «back 9». Les séries annulées au bout de treize épisodes traversent rarement l'Atlantique. On n'entendra sans doute jamais parler de Constantine, Black Box ou de Bad Judge, annulées entre 2014 et 2015. Ce système donne parfois une structure de saison un peu particulière. Ainsi, dans 24 Heures chrono , la femme et la fille de Jack Bauer sont sauvées et le premier assassin éliminé dans le treizième épisode, laissant ainsi aux créateurs la possibilité de clore l'histoire en cas d'annulation. Dans Buffy contre les vampires, dans le septième épisode (c'est-à-dire au moment où la chaîne commande ou non le back 9), on apprend dans un twist mémorable qu'Angel est finalement un vampire avec une âme. Autre effet de bord possible, Community de Dan Harmon est, dans sa première partie, une gentille sitcom de fac, sans doute pour respecter la commande, avant de changer brutalement de ton et de devenir complètement barrée (et géniale).

Une saison et une seule

Sauf exception, une série n'est pas faite pour ne durer qu'une saison. L'installation des personnages et de l'intrigue est censée tenir en haleine les téléspectateurs plusieurs années. Mais si l'audience n'est pas au rendez-vous, les chaînes n'ont aucun état d'âme. Interrompues très tôt, la plupart de ces histoires amputées ne laissent que peu de souvenir. C'est parfois plus douloureux, comme pour Terra Nova, Rubicon, Almost Human, Terriers ou encore, on l'a déjà évoqué, Vinyl. Autant de séries qui avaient réussi à se constituer une base fidèle, mais loin d'être suffisante. Dans deux cas bien particuliers, cette annulation a cependant fait entrer la victime dans la légende.

Le premier, c'est Freaks and Geeks, comédie d'ados créée en 1999 par Paul Feig et produite par Judd Apatow. Mettant en scène une bande de jeunes marginalisés dans leur lycée, la série a révélé nombre d'acteurs, comme Seth Rogen, James Franco, Linda Cardellini ou encore Jason Segel. Elle fut annulée par NBC après seulement 12 épisodes sur les 18 filmés. Depuis, Freaks and Geeks est régulièrement cité dans les sélections de séries cultes par les médias spécialisés.

Le second cas est encore plus fascinant. En 2002, la Fox commande une série à celui qui s'est fait connaître par les aventures d'une adolescente chasseuse de vampires, Buffy. Joss Whedon a carte blanche. Il propose donc à la chaîne un univers qui mixe space opera et western, Firefly. Difficile à avaler pour la Fox, qui s'attendait plutôt à une nouvelle histoire de jeune fille qui fait des blagues. Rien ne se passe ensuite comme prévu. Le pilote, qui introduit l'équipage du vaisseau spatial Serenity, est retoqué par la Fox qui demande d'en tourner un nouveau, plus drôle. S'en suit un ordre de diffusion complètement chaotique qui rend difficile la compréhension d'une mythologie pourtant captivante. Et l'annulation avant la diffusion de la totalité des 15 épisodes tournés déclenche une campagne de soutien des fans, qui vont même jusqu'à collecter des fonds pour se payer une page de pub dans le magazine Variety. En vain. Porté par cet engouement, Universal finance en 2005 un long métrage, Serenity. Firefly est évoqué en tant que référence culturelle par de nombreuses autres séries (The Big Bang Theory, Community…) et garde un public de fidèles qui se font appeler «les Browncoats».

Deux, trois ou quatre saisons

Après avoir suivi plusieurs années durant des personnages, on commence à saisir les rouages d'un univers, et on s'attache. Beaucoup. Ce sont les annulations les plus douloureuses. En France, on y fut confronté avec «la trilogie du samedi» sur M6, qui fit découvrir à beaucoup les séries américaines modernes. Série phare des débuts du programme en 1997, le Caméléon (The Pretender en VO) met en scène Jarod, capable de prendre toutes les identités possibles. On s'est accroché pendant quatre saisons à cet univers complotiste, avant de subir la décision de NBC de ne pas la renouveler. Deux téléfilms seront tournés plus tard pour boucler l'intrigue, mais le mal est fait. On sait depuis que les amours télévisuelles finissent souvent mal et qu'il vaut toujours mieux se préparer à une séparation brutale. C'est ce qui est arrivé avec la Caravane de l'étrange (Carnivàle, en VO), Deadwood, Boss, Pushing Daisies, Veronica Mars, Dead Like Me et tant d'autres.

Un cas particulier a marqué l'histoire. C'était en 1968. NBC veut abandonner une série après deux saisons de cette odyssée spatiale humaniste. Après une campagne de protestation, la chaîne accepte de financer une troisième. Ce sera la dernière. Star Trek est pourtant devenu un des piliers de la culture populaire et donnera lieu à cinq séries dérivées et treize films. Cette annulation est parfois citée comme étant une des plus grandes erreurs de l'histoire de la télévision aux Etats-Unis.

Il faut bien s’arrêter un jour

Il y a les séries qui s'arrêtent parce que l'histoire est finie, et il y a celles qu'il faut débrancher parce qu'elles pourraient encore durer des décennies, à l'instar de certains soaps (Amour, Gloire et Beauté en est à sa 29e saison cette année). C'est le cas des séries «procédurales» thématiques des grands networks (NBC, CBS, ABC, Fox…). Qu'elles soient policières ou médicales, elles mettent en scène une nouvelle histoire à chaque épisode, avec un mince fil conducteur. Ce sont généralement celles qui squattent les premières parties de soirée en France (les Experts, Esprits criminels, Castle, Bones, Dr House, Urgences, Grey's Anatomy…). L'érosion lente de l'audience déclenche après plusieurs années la mise à la retraite des flics et des chirurgiens. Ainsi, les Experts, qui culminait à plus de 26 millions de téléspectateurs en moyenne aux Etats-Unis durant sa cinquième saison en 2005, n'en touchait plus que 8 lors de sa quinzième saison en 2015. Cette dernière saison a même, du coup, été réduite à 18 épisodes, histoire de laisser en février 2015 la place à la prometteuse les Experts : Cyber, avec Patricia Arquette. Pour ne pas jeter une série aussi emblématique comme une vieille chaussette, CBS a quand même diffusé un double épisode final en septembre.

Beaucoup n'ont pas droit à cet honneur. Ainsi, après huit ans de bons et loyaux services, Castle (diffusée sur France 2) a été annulée cette année. Les créateurs, conscients du risque, ont tout juste eu l'opportunité de filmer deux versions du dernier épisode, diffusé aux Etats-Unis le 16 mai. Quelques jours plus tôt, CBS annonçait l'annulation des Experts : Cyber.

Des Séances de Rattrapage

L'annulation n'est parfois pas une fatalité. Il arrive que, poussé par l'enthousiasme des fans, la production change de main. Aux Etats-Unis, Netflix est ainsi apparu comme le sauveur pour deux excellentes séries, The Killing et Arrested Development, dont elle a repris les droits. Pour la première, elle a surtout permis de dire au revoir à Linden et Holder dans une éprouvante enquête finale. Avec la seconde, on a pu continuer à suivre les aventures des losers de la famille Bluth dans une quatrième saison (une cinquième est en production). Community a elle aussi été rattrapée in extremis par Yahoo après son annulation par NBC en 2014. Une sixième et dernière saison de 15 épisodes a été diffusée en 2015.

La France a connu un cas équivalent avec Hero Corp, de Simon Astier. Dans la lignée de son frangin avec Kaamelott, il s'est approprié une mythologie, celle des super-héros dans le cas présent, pour construire un univers propre. Les deux premières saisons, produites par Comédie +, sont diffusées en 2008 et 2010, mais la chaîne refuse d'en financer une troisième. Les fans ne cesseront ensuite de se mobiliser, et France 4 reprend le flambeau en 2013 pour deux autres saisons. La cinquième et dernière, cofinancée cette fois par le public avec le site de crowdfunding Ulule, est en cours de production.

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