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Libération
Histoires de famille (1/5)

Une mère opale

La Polonaise Aneta Grzeszykowska a joué sur l’inversion des noirs et des blancs dans son «Negative Book», se mettant ainsi en scène à la limite de l’invisible et de l’hyper exposition.

«Negative Book», 2012-2013. (Courtesy de l’artiste et de la Raster Gallery, Varsovie.)
Publié le 05/08/2016 à 17h21

Al'âge d'or de la pellicule, les tirages étaient soigneusement rangés dans les albums de famille. Une fois les photos tirées, les négatifs illisibles gardaient leurs secrets et finissaient à la poubelle. Pourtant, quand on les plaçait près d'une source lumineuse, des fantômes surgissaient. Des scènes mystérieuses nécessitant une opération de l'esprit : transformer le négatif en positif, exercice qui oblige à un jeu de dupes entre l'œil et l'esprit. C'est à cette manœuvre impossible que nous force l'artiste polonaise Aneta Grzeszykowska, née en 1974. Dans les 84 photographies issues de son Negative Book, la photographe a inversé les valeurs : les noirs sont devenus blancs et les blancs noirs, les peaux claires ont viré sombre et les cheveux foncés sont lumineux. Mais il y a un hic. La femme nue sur les photos, l'artiste donc, a un corps blanc, presque opalescent. Pour s'illuminer comme une ampoule dans ce monde inversé, elle s'est recouverte d'une peinture noire et s'est coiffée d'une perruque blonde - on peut voir la vidéo de cette performance sur le site du musée d'Art moderne de Varsovie (Negative Process, 2014). Puis elle s'est mise en scène dans la vie de tous les jours, avec ses enfants, sous la douche, dans son lit, à l'hôpital… Extraterrestre parmi les humains, peinture vivante dans une photographie, Aneta Grzeszykowska est devenue son aura, comme si l'art l'avait absorbée.

Habituée à se mettre en scène, elle s'était déjà effacée de 200 photos de famille (Album, 2005), s'était déguisée en Cindy Sherman (Untitled Film Stills, 2006), avait plongé son corps dans des abysses pour le film Black (2007). A la limite de l'invisible et de l'hyper exposition (ce qui revient au même en photographie), l'inquiétante Aneta Grzeszykowska a pris la forme d'un négatif du négatif, apparition et disparition, yin et yang. Elle n'est pas dans la nostalgie d'un objet obsolescent mais plutôt dans une métaphore d'elle-même, à la fois mère, fille, femme, artiste, mortelle.

Lundi : Hélène Jayet