«Cinq ans, trois ministres de la Culture, zéro mesure.» Le titre du manifeste pour le photojournalisme est offensif. Les organisations qui l'ont signé, la Scam (Société civile des auteurs multimédia), la Saif (Société des auteurs des arts visuels et de l'image fixe), le SNJ, le SNJ-CGT, la CFDT Journalistes et l'Union des photographes-auteurs (UPP), l'ont dégainé à l'occasion de Perpignan. Quel meilleur moment que le festival Visa pour l'image pour rappeler la dégradation des conditions d'exercice d'une profession et les promesses du gouvernement… non tenues ? Bien sûr, il y a de plus en plus de photographes, mais pas qui vivent de la presse. Le nombre de reporters photographes encartés a chuté de 1 458 en 2000 à 761 en 2015. «Malgré les nombreux rapports et réunions de travail avec le ministère depuis l'élection de François Hollande, aucune mesure concrète n'a été prise, laissant le métier se déprofessionnaliser et se paupériser», souligne leur communiqué. «Notre manifeste exprime une forme d'amertume sur le bilan de ces quatre ans de mandat pour le photojournalisme, décrypte Olivier Brillanceau, directeur général de la Saif. Nous n'avons pas eu de réponses à la crise ou très peu.»
L’attaque pourrait passer pour ingrate. Ce manifeste a été rendu public le 31 août, or la veille, le ministère de la Culture annonçait à la profession un petit train de mesures d’allure pimpantes : enfin le décret sur un salaire minimum des photojournalistes pigistes allait sortir des limbes ; une étude serait lancée en octobre sur les mentions accompagnant la publication de photos (dont le fameux et illégal DR) et gare aux éditeurs qui touchent plus d’un million d’euros d’aides directes par an (26 groupes soit 220 titres au total) qui ne s’engageraient pas à des rapports sains et réguliers avec les photojournalistes d’ici la fin de l’année sous peine de voir suspendu jusqu’à 30% des aides. Et un peu plus de fonds trébuchants pour la photographie documentaire au Centre national des arts plastiques (CNAP). Bref, un apparent bon coup de pouce.
Passer de la parole aux actes
La liste de cadeaux a été cueillie à froid. «Personne à Perpignan n'a hurlé de joie», commente laconiquement un membre de la Scam sur place. Lors du débat sur le manifeste organisé mercredi, en présence de Sophie Lecointe, conseillère en charge de la presse près de la ministre Audrey Azoulay, le scepticisme prévalait. En gros, résume un spectateur, l'ambiance confinait au doute : «Vous dites des choses que vous ne tenez pas… Vous proposez une énième enquête sur l'utilisation du DR et pour dire quoi ? Quant au tarif des piges, on en parle depuis tellement longtemps !…» L'année dernière à Perpignan, le 4 septembre 2015, dans l'auditorium Charles Trénet comble de photographes, l'ex-ministre Fleur Pellerin avait donné un discours ému, au moment même où la photo du petit Aylan faisait la une de la presse internationale, pour souligner l'importance de la profession. Elle y annonçait déjà l'aboutissement du décret sur un salaire minimum des photographes pigistes, la mise en place d'un Parlement des photographes, et une réforme du DR. En un an, rien n'a bougé.
L'expression «chat échaudé craint l'eau froide» est sur toutes les lèvres. C'est cependant sans doute la première fois que le ministère montre une volonté de conditionner les aides à la presse au respect des délais de paiement et d'approvisionnement privilégié auprès des photojournalistes et des agences de presse. «Il faut que le ministère affronte les éditeurs qui sont eux aussi en difficulté économique, estime Hervé Rony, président de la Scam. Il faut du courage politique, mais il s'agit de sauver une profession.» Passer de la parole aux actes, en somme. «Il faut que la mise en œuvre du conditionnement des aides à la presse aille vite, en toute transparence, et avec des moyens de contrôle», insiste Olivier Brillanceau.
Seule avancée historique ces derniers mois pour la photographie et les arts visuels : l'article 10 quater de la loi «Liberté de la création, architecture et patrimoine», adoptée le 29 juin. Il prévoit une rémunération obligatoire des auteurs pour les moteurs de recherche d'images. Le décret devrait paraître prochainement. «Si on veut que les choses évoluent au niveau européen, il faut que les politiques nationales poussent et agissent ainsi», précise Olivier Brillanceau. Pour le train de mesures de saison, les photojournalistes souvent déçus attendent de voir, conscients qu'il ne reste qu'une poignée de mois avant le coup de balai de la présidentielle.