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Libération
en suspens

Le festival de Clairvaux dans un entre-deux

Créé dans une abbaye cistercienne avec un ancrage en milieu carcéral, Ombres et lumière tient ce week-end sa treizième édition avec des grands noms du classique mais de fortes inquiétudes sur sa pérennité.
(J. Sallé)
publié le 21 septembre 2016 à 19h30
Nombreux sont les festivals qui tentent de boucler leur budget par le financement participatif. Ombres et Lumières, qui tient ce week-end sa treizième édition à Clairvaux (Aube), a dû également se résoudre à la mi-août à ouvrir une page sur Kisskissbankbank. Mais il a recueilli moins de la moitié que ce qu’Anne-Marie Sallé, fondatrice du festival, en attendait. Elle s’avoue inquiète pour l’avenir de cet événement pourtant unique en son genre. «Depuis trois ou quatre ans, les crédits ont considérablement baissé, explique-t-elle. Pourquoi ne soutient-on pas la seule manifestation qui fait vivre le lieu ?» Le département ne la suit pas cette année et la réponse de la région ne lui parviendra qu’après le festival. Le pianiste François René Duchâble et le violoniste René Pasquier ont généreusement proposé d’offrir leur concert de musique de chambre (à 17h30, dimanche 25 septembre). Une fragilité paradoxale pour un festival avec une programmation de haut niveau, dans un lieu exceptionnel : abbaye cistercienne du XIIe siècle et maison centrale hébergeant, entre autres, des détenus condamnés à de longues peines. Ombres et lumières a réussi à développer un objet culturel qui créé une passerelle entre les deux.
Lancé en 2004, le festival a travaillé sur ce double enfermement, celui des moines et des détenus. Depuis huit ans, un atelier d’écriture est mené à l’intérieur de la prison (Claivaux, profondeur de chants). Un compositeur créé une œuvre et encadre les détenus qui rédigent les textes du livret. Pour la quatrième année, c’est Philippe Hersant, Victoire de la musique 2016, qui l’a coordonné. Un atelier choral a également été adjoint cette année, mené par Nicole Corti, chef du chœur Britten. Des détenus interpréteront leurs textes par vidéo interposée lors du concert, aux côtés des chanteurs professionnels (Résurrection, 17h30 samedi 24 septembre). «Dans cet univers d’enfermement, où les jours, tous identiques, s’étirent interminablement, j’ai pu mesurer combien ces ateliers d’écriture avaient, pour les détenus, une importance capitale», a souligné Philippe Hersant dans une interview. En juin dernier, le ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas a annoncé la fermeture de la maison centrale dans cinq ans (Prison de Clairvaux: mutinerie hors les murs).

Le festival, dont chaque concert rend hommage à Jean-Sébastien Bach, se déroule dans le réfectoire des moines du XVIIIsiècle, rénové à l'occasion des 900 ans de Clairvaux en 2015. En juin 2016, l'opéra de Perm en Russie a commandé à Philippe Hersant une œuvre, Tristia, suite de celles qu'il avait composées sur les textes de détenus de Clairvaux, avec ceux de prisonniers russes et des poètes Mandelstam et Chalamov. «Ce projet est un des plus beaux qu'on m'ait jamais proposé, s'est réjoui le compositeur. Je suis heureux que la parole des détenus que j'ai rencontrés à Clairvaux puisse résonner si loin, à des milliers de kilomètres – mêlée à celle des prisonniers russes, que je ne connais que par les magnifiques poésies qu'ils ont écrites.» Curieux que cet incomparable travail et l'émotion qu'il soulève ne trouve pas in situ de soutiens suffisants.