Menu
Libération
Reportage

Renaissance du Bataclan

13 Novembre, un an aprèsdossier
La salle parisienne, où 90 personnes avaient été massacrées, a rouvert samedi soir avec un concert de Sting, à la veille du premier anniversaire des attentats du 13 Novembre.
Sting au concert de réouverture du Bataclan, le 12 novembre 2016. (Boris Allin. Hans Lucas)
publié le 13 novembre 2016 à 8h13

On a entendu un bruit sec et mat samedi, dans la soirée, au Bataclan. C’était celui du bouchon d’une bouteille de champagne, que venait d’ouvrir un des serveurs, au bar, restituant de facto à la scène de crimes sa vocation initiale de lieu convivial. 366 jours après le carnage ayant fait quelque 90 morts dans le cadre de l’attaque jihadiste qui a semé la désolation à Paris, le 13 novembre 2015, la célèbre salle de concert parisienne a en effet rouvert ses portes pour une véritable résurrection placée sous le feu cette fois des projecteurs et des caméras.

«La France et le monde entier vont voir que le Bataclan revit», affirmait huit jours auparavant, dans le cadre d'une conférence de presse, Jérôme Langlet, le patron de la branche Lagardère Live Entertainment, propriétaire du lieu. Transformer le Bataclan en mausolée, ou lui redonner son lustre de salle de spectacle parmi les plus prestigieuses de la capitale ? La question a été vite tranchée. A partir de mars, pas moins de 25 entreprises se sont attelées à sa réfection (qui était de toute façon planifiée avant la tragédie), l'idée étant de refaire la salle à l'identique. Plusieurs millions d'euros ont été investis et, une fois la commission de sécurité passée, le 3 novembre, plus rien ne s'opposait à ce que, un siècle et demi après son inauguration et un an après le martyre, elle ne reprenne du service ; plus rien, au moins techniquement, c'est-à-dire sans préjuger de l'envie et de la capacité des artistes, comme du public, à revenir dans un endroit où la France avait vécu un de ses pires cauchemars depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Longtemps, c’est le chanteur anglais Peter Doherty qui devait essuyer les plâtres, le 16 novembre. Et puis Sting est sorti du chapeau en dernière minute. L’ancien leader de The Police sort un nouvel album ces jours-ci. Le convaincre de venir n’a pas été compliqué, même si le musicien a veillé à préciser qu’il ne percevrait pas de cachet et que la recette du concert serait destinée à deux associations de victimes, Life for Paris et 13 Novembre : fraternité et vérité.

Rentrer au Bataclan un an plus tard n'a rien d'une évidence et, pourtant, celles et ceux qui connaissaient déjà l'endroit sont frappés par le fait d'y retrouver si aisément leurs repères. Samedi soir, les cars régie sont stationnés sur le boulevard Richard-Lenoir et un important dispositif policier filtre les parages de la salle, uniquement accessibles aux 1 497 personnes qui ont réussi à acheter un billet (50 euros) ou, pour bon nombre d'entre elles, à se faire inviter, y compris des victimes ou familles de victimes touchées par les attentats. Si malaise potentiel il y a, on le perçoit dehors à travers ce membre du service d'ordre demandant à un homme en train de photographier la file d'attente de ranger son appareil, relayé par un spectateur dans la queue, lançant un «paparazzi de merde, casse-toi, on n'est pas là pour être photographiés». Le hall d'entrée a gagné en luminosité, avec une grande bâche représentant sur fond blanc la façade telle qu'elle était jadis, avec son toit en forme de pagode chinoise. «Nous voulions que ce soit plus clair, explique Olivier Poubelle, codirecteur de la salle, qui accueille les visiteurs avec le sourire, malgré les traits tirés. A un moment, on a pensé coller les affiches des spectacles à venir et puis nous avons préféré cette option, mais qui n'a rien de définitive.»

«Ça va bien se passer»

Une heure avant le concert, le public arrive et la componction ne survit pas au brouhaha traditionnel des salles rock. Le plancher a été changé, les peintures refaites, dans des tonalités bleu marine rehaussant les fresques murales dédiées à la joie de vivre de l'ancien café-concert et music-hall. Çà et là, on discerne bien des regards graves, tandis qu'une femme pose la main sur l'épaule d'un ami en lui disant «Tu vas voir, ça va bien se passer». Mais c'est un étrange sentiment de normalité qui prévaut chez la plupart des personnes présentes, qui expriment leur soulagement, à l'instar de Stéphane Espinosa, le directeur du label Polydor, chez Universal, qui, une bière à la main, formule simplement «l'impression de revenir à la maison et de reprendre ses habitudes».

Au milieu des quidams, on entend beaucoup de voix étrangères et, à quelques minutes des premiers accords, de nombreuses personnalités arrivent, aussitôt dirigées vers le balcon, telle la maire Anne Hidalgo, la présidente du conseil régional d’Ile-de-France Valérie Pécresse, la ministre de la Culture Audrey Azoulay, ou son prédécesseur, Jean-Jacques Aillagon. La communauté artistique est aussi discrètement présente, en rangs séparés, à travers divers noms qui ont naguère fait chavirer la salle, comme Christian Olivier, le chanteur de Têtes Raides, Frah et Samaha Sam de Shaka Ponk, ou le rappeur Orelsan. Egalement à Paris ce week-end, le chanteur des Eagles of Death Metal, Jesse Hugues, a en revanche été refoulé le soir même, ayant froissé la direction suite à des déclarations à caractère polémique jugées injustes et déplacées (1).

«Inch’Allah»

Annoncé sur scène à 21 heures, pour une durée d'environ une heure, Sting arrive avec quelques minutes de retard, fraîchement débarqué de New York. Trente-sept ans après (The Police y avait joué en avril 1979), la silhouette est la même, la voix aussi, quasiment. Dans un français soigné, le chanteur en tee-shirt contextualise sobrement l'événement : «Nous sommes là pour concilier deux tâches importantes : se souvenir et honorer ceux qui ont perdu la vie, mais aussi célébrer la vie et la musique que représente cette salle.» Puis il demande une minute de silence, introduite et conclue par la même phrase, «nous ne les oublierons pas», avant d'entamer un set plus long que prévu mêlant les tubes de The Police, ceux de sa carrière solo et des extraits du nouveau disque, 57th & 9th, entouré de son groupe et du trompettiste, Ibrahim Maalouf. Fragile, Message in a Bottle, Driven to Tears, Englishman in New York, Down Down Down, Roxanne… Enoncer la set list pourrait sembler anecdotique, mais cela le devient moins quand Sting dévoile un nouveau titre, Inch'Allah – «très beau mot, marque d'humilité et de courage» – qu'il dédie aux migrants auxquels il témoigne la plus grande «empathie» tout en confessant son impuissance à sauver le monde. Revenue d'entre les morts, la pop star sexagénaire aura su orchestrer le recueillement comme la liesse, saluant au passage la mémoire de David Bowie, Prince ou Glenn Frey, avant de tirer élégamment sa révérence en dédiant un dernier titre acoustique, The Empty Chair, au photoreporter James Fowley, mort décapité en 2014 en Syrie, «ainsi qu'à tous ceux qui ont perdu un être cher».

Il est 23 heures et une pluie tenace asperge ces trottoirs sur lesquels on a posé tant de bouquets et de messages compassionnels, quand la foule sort du Bataclan, alpaguée par une nuée de journalistes français et étrangers recueillant les premiers témoignages du renflouement. Dans le lot, il y a celui de Daniel Psenny, journaliste au Monde et autrefois à Libération, qui habite à côté et a été gravement blessé à un bras en portant secours à un homme, dans le chaos du 13 Novembre. «Il est évident pour moi que cette salle devait rouvrir et, en étant là, j'ai l'impression de boucler la boucle. Je suis venu avec mon fils qui, le soir des attentats, regardait le match de foot dans un bar à côté du Bataclan. On ne pourra jamais oublier, bien sûr, mais notre présence doit être perçue comme une forme de victoire sur la peur car, coûte que coûte, nous restons du côté de la vie.»

A part ça, à 5 euros le demi, la bière est toujours très chère au Bataclan et on a encore trop chaud au balcon. Comme avant.

(1) Ce qu'il a nié dimanche matin, assurant n'avoir pas voulu entrer de son plein gré au Bataclan. «Je ne voulais pas voir le concert, je voulais simplement voir la salle ouverte», a déclaré Hugues en marge des commémorations du 13 novembre, auxquelles il a assisté.

"Je ne voulais pas voir le concert, je voulais simplement voir la salle ouverte", a déclaré le chanteur à la presse, à la mairie du XIe arrondissement de Paris.

Il a assisté dans la matinée aux commémorations