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Scène

Terry Gilliam, Bob Wilson, Warlikowski... la nouvelle saison de l'Opéra de Paris

L'équipe dirigeante a présenté ce mercredi sa saison 2017-2018, qui compte des habitués, des novices et quelques belles attentes.
Stéphane Lissner, directeur de l'Opéra National de Paris, et Aurélie Dupont, à la tête du ballet, en février 2016. (Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 25 janvier 2017 à 19h18

Il y eut les infinitifs (Oser), puis les substantifs (Envie), il y a cette année les locutions : au 8e étage de l'Opéra Bastille, c'est sous un immense visuel portant slogan «Laissez-vous porter» avec pêle-mêle un rideau rouge, un nuage, des dorures, un tableau… que la fine équipe dirigeante de l'institution a présenté ce mercredi sa saison 2017-2018.

Cet événement était sans grand enjeu, la programmation qui devait être annoncée avait fuité depuis déjà un mois sur le Net. Mais on y a quand même entendu de belles phrases de la part du directeur, Stéphane Lissner, arrivé aux commandes en 2014 : «Les artistes n'ont pas de caprices. Les artistes sont des artistes.» On y a découvert la fierté de la confiance retrouvée au sein de l'établissement. Aurélie Dupont, à la tête du ballet : «Les danseurs étaient déçus à mon arrivée. Aujourd'hui, la compagnie est de nouveau solidaire. Aujourd'hui, ça marche.» Lissner, encore, saluant ses personnels : «La confiance est importante, pour faire venir des chefs, des artistes, pour garder un lien avec le public.»

Viennent les annonces de chiffres importants : pour 2017-2018, il y aura 34 spectacles (21 opéras, 13 ballets), 405 représentations, 1 million de spectateurs attendus. Et de chiffres spectaculaires : en 2015-2016, la jauge moyenne était remplie à 90,5%. Pour la première partie de cette saison, le chiffre est en hausse de 12,5% et l'on attend un +10% d'ici juin. Autres motifs de satisfaction : les abonnés achètent plus de billets et le mécénat a fait un bond spectaculaire de 70%, passant de 10 à 17 millions d'euros. Sur la globalité, il permet de financer 40% des productions. «Merci Rolex», a salué Lissner, qui l'a suivi de la Scala à Paris.

Autre innovation de saison : les tarifications nouvelles. Les avant-premières moins de 28 ans (que d’aucuns disent aussi «et plus de 82 ans»), inestimable succès, sont conservées. Sera mise en place une opération «Première fois à l’opéra» : 1 000 personnes qui n’ont jamais vu d’opéra, notamment pour des raisons financières, se verront proposer des places à 25 euros pour les adultes, 10 euros pour les enfants, pour 2 ballets et 2 opéras. Ces spectateurs pourront aussi rencontrer les artistes, visiter les coulisses, bénéficier d’un encadrement. Des billets à tarif -40% pour les moins de 40 ans seront aussi proposés pour une dizaine de spectacles. Et il y aura des réductions pour les abonnés, afin de récompenser leur fidélité.

Passons maintenant à la programmation pour cette future saison qui s’inscrit dans la continuité des deux précédentes, sans identité particulière revendiquée.

Les novices

Terry Gilliam fêtera sa première mise en scène à l'Opéra de Paris, dans un Benvenuto Cellini dirigé par le directeur musical maison, Philippe Jordan, qui poursuit donc le cycle Berlioz (après la Damnation de Faust il y a deux ans et Béatrice et Benedicte cette saison), cycle qui devrait culminer la saison suivante avec les Troyens pour les trente ans de l'Opéra Bastille. Jordan voit dans le répertoire français, auquel il amalgame Don Carlos de Verdi, un des axes de la programmation. Outre Benvenuto et Don Carlos, il dirigera aussi une reprise du Pelléas et Mélisande dans la mise en scène de Bob Wilson (avec la terrible Elena Tsallagova).

Autres grands débuts très attendus, ceux de Gustavo Dudamel, pour une Bohème mise en scène par Claus Guth, titre que le chef vénézuélien avait dirigé en juin dernier à Los Angeles. Ce coup-ci, ce sera à Bastille. Dudamel fait partie de ces chefs qui, selon Lissner, viennent à Paris «grâce au travail de Philippe Jordan, grâce à la réputation de l'Opéra de Paris.»

Ils reviennent

Le programme fait aussi la part belle aux habitués du calendrier lissnérien, «une famille» comme la décrit le directeur. Claus Guth, qu'on a découvert très bavard au micro, y bricolera deux mises en scène : la Bohème donc, et Jephtha, de Haendel, qui marquera aussi, après dix ans d'absence, le retour au pupitre de William Christie. Sur Jephtha, Guth dit : «L'oratorio fonctionne généralement autour d'un thème qui est plus approfondi que dans un opéra. Dans le cas de Haendel, l'oratorio a aussi plus de couleur, de variété.» Il a ensuite raconté tout l'argument de cet oratorio, repris en français par le traducteur, ce qui a plongé les témoins dans une certaine apathie. Evidemment, il a fait le même coup avec la Bohème.

Damiano Michieletto, après un Samson et Dalila scéniquement navrant, nous enchantera peut-être l'an prochain avec un Barbier de Séville dirigé par Ricardo Frizza, et un Don Pasquale conduit par le Turinois Evelino Pido. Et Krzysztof Warlikowski, habitué des lieux, remettra le couvert en ouverture de saison avec un Don Carlos très attendu dirigé par Jordan avec Jonas Kaufmann (qui triomphe actuellement avec Lohengrin à Bastille) et la reprise de son Chateau de Barbe-Bleue / la Voix humaine, qui permettra de revoir Barbara Hannigan sur un canapé rouge à Garnier en mars.

Dans le domaine des reprises («la qualité d'une maison se voit à la qualité de ses reprises», reprend Lissner en citant Liebermann), nous attendrons le mois de juin pour savoir si Sondra Radvanovsky s'est pris le pied dans une trappe de la mise en scène d'Alex Ollé, comme Anna Netrebko il y a un an. Laquelle Netrebko interprétera trois fois Violetta dans une reprise de la Traviata mise en scène par Benoît Jacquot. «Nous avons la chance que les metteurs en scène reviennent et retravaillent eux-mêmes, avec les nouvelles distributions, leurs précédentes mises en scène, comme l'ont fait Warlikowski cette année pour Iphigénie en Tauride ou Robert Carsen pour les Contes d'Hoffmann. Le metteur en scène, c'est lui qui donne vie au personnage. Leur présence permet de faire une différence entre reprendre et recréer», explique Lissner.

Ce qu’on attend

Dans les nouvelles productions, la création française Only the Sound Remains, de la compositrice finlandaise Kaija Saariaho (laquelle sera d'ailleurs fêtée la semaine prochaine au festival Présence) mis en scène par Peter Sellars («Il faut créer un projet avec Peter Selllars pour pouvoir le voir et passer du temps avec lui», explique la compositrice). L'œuvre est inspirée de deux pièces du théâtre no japonais et Philippe Jarousky, dont nous fêterons la première à l'Opéra de Paris, est de la partie. Cette création remplace la saison 2017-2018 le volume de la série «Théâtre» initiée cette année avec Trompe-la-Mort sur la figure de Vautrin, et avant Bérénice (par Claus Guth en 2018-2019).

Bien évidemment, une ouverture de saison en fanfare avec Don Carlos, de Verdi, la version française, plus longue, jamais plus donnée depuis sa création, pour l'Opéra de Paris, en 1867. Seront présents toutes catégories confondues : Philippe Jordan, Krzyzstof Warlikowski, Jonas Kaufmann, Ludovic Tézier, Sonya Yoncheva, Elina Garanca… Enorme.

Le directeur Lissner a aussi programmé De la maison des morts, et est revenu sur la création de cette production, en 2007, pour le Wiener Festwochen et le Festival d'Aix. «J'avais réussi à faire en sorte que Boulez et Chéreau retravaillent ensemble. Boulez ne voulait le diriger qu'à Amsterdam, Vienne et Aix. Esa-Pekka Salonen est venu assister aux répétitions pour s'inspirer de la façon dont Boulez travaillait et concevait l'œuvre. Malgré sa notoriété, il est resté deux mois voir comment ils travaillaient.» La production sera dirigée en novembre prochain par Salonen, «et toutes les personnes sur le plateau ont travaillé avec Chéreau. Nous serons très fidèles». Une expo Chéreau au Palais Garnier est aussi prévue.

La présence du metteur en scène Ivo Van Hove dans Boris Godounov permettra à l'institution de continuer à tisser des liens avec le monde du théâtre.

Et, dans un cycle Wagner pour l'instant sans faute, après les Maîtres Chanteurs et Lohengrin, Philippe Jordan dirigera un nouveau Parsifal, mis en scène par Richard Jones, avec Andreas Schager dans le rôle titre et Peter Mattei dans celui d'Amfortas. «On retrouve là la famille wagnérienne de l'Opéra de Paris», a jugé Philippe Jordan.

A propos de famille, il faudra aussi compter sur les trois flèches vocales de l'écurie Lissner, à savoir Nadine Sierra, Anita Rachvelishvili et Pretty Yende, qui vont coloniser la fin de saison dans Don Pasquale, le Trouvère et Benvenuto Cellini.

Une doublette l'Heure espagnole (Ravel) / Gianni Schichi (Puccini) dans une mise en scène décennale de Laurent Pelly mais dirigée par Maxime Pascal (lequel avait perdu cette saison la direction d'un spectacle, annulé après l'impromptu retrait de Benjamin Millepied – «je ferai tout pour cette maison» avait-il écrit le jour de son départ) ne devrait pas être inutile aux tympans.

Et le ballet dans tout ça ?

Aurélie Dupont, la nouvelle directrice du ballet – «depuis un an, ça passe vite» – a remercié une fois de plus Lissner et salué la confiance retrouvée de ses équipes. Pour cette prochaine saison, elle veut essentiellement trois choses.

Mettre en avant les ballets classiques. Le ballet de Paris est une compagnie de classique : «La danse classique est notre héritage», a-t-elle expliqué. Ce sera Don Quichotte de Rudolf Noureev, Onéguine de John Cranko et la Fille mal gardée de Frederick Ashton.

Ouvrir la porte de l'établissement aux jeunes chorégraphes. «Prenons un risque. Invitons des jeunes à travailler avec les meilleurs», dit-elle. Par exemple, classe folle et langage simple, elle explique avoir proposé «de faire un truc» avec Ivan Pérez, jeune chorégraphe espagnol. Le truc sera une chorégraphie, donnée pour une soirée conjointe James Thierrée, la Canadienne Crystal Pite et l'Israélien Hofesh Schechter. Un danseur doit goûter à tout, comme quelqu'un qui parle quinze langues. Y compris celle de Saburo Teshigawara, qui sera de la partie l'an prochain. Tout comme Alexander Ekman.

Hommager, notamment avec le cercle Yvette Chauviré, les droits acquis du Boléro de Béjart, le départ de certaines étoiles… «Et j'ai oublié quelque chose, Stéphane?» «Oui, les tournées.» «Ah oui, les tournées», reprend Aurélie Dupont. Après un passage au Japon cette saison, le ballet ira à New York.

Le bonus

Ceux qui le désiraient ont pu, en ressortant, passer dans la fameuse salle modulable construite à Bastille, mais jamais achevée, et qui fait partie de l’échange préalable à la future «Cité du théâtre». En effet, dans le plan prévu par les institutions (Odéon, Comédie-Française, Conservatoire et Opéra de Paris) et les politiques, l’Opéra de Paris abandonne ses ateliers de décors près des ateliers Berthier, récupérés par le Conservatoire de Paris qui va s’y installer, mais aussi par la Comédie-Française qui va y ouvrir une nouvelle salle. En contrepartie, l’atelier décor d’opéra déménage à Bastille, où ouvrira une salle prévue de longue date mais jamais achevée, avec une jauge de 800 places, et qui servira notamment aux créations contemporaines. Et bien cette salle, sans fauteuils, sans murs de plâtre, sans scène, sans rien… existe bien.

Photo G.T.