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Libération
Billet

Non merci, Beyoncé !

La mise en scène de sa grossesse par la diva du r'n'b allie plan com' et leçon de vie : ras le bol.
Cette fameuse photo est devenue l'image la plus likée sur Instagram, avec plus de 9 millions de «J'aime». (DR)
publié le 3 février 2017 à 18h00

«Nous voudrions partager notre amour et notre bonheur». C’est par ces mots débordants d’œcuménisme que Beyoncé a accompagné la photo postée mercredi sur son compte Instagram et qui a dans la seconde électrisé les réseaux sociaux. Devant une sorte d’autel débordant de fleurs rococo, la diva du R’n’B s’affiche en soutien-gorge prune et culotte de satin bleu, agenouillée les mains sur son ventre rebondi, un voile de tulle vert délicatement posé sur ses cheveux dénoués. Son regard est frontal, olympien. Et pour cause: «Nous sommes incroyablement reconnaissants que notre famille compte bientôt deux membres supplémentaires», poursuit la légende, signée «Les Carter», Queen Bey étant l’épouse de Shawn Corey Carter aka Jay Z, déjà père de leur fille de 5 ans Blue Ivy.

Donc, tout ça pour annoncer ça: madame est enceinte, de jumeaux. Est-il seulement possible pour Beyoncé, d'envisager que malgré toute notre affection, non merci, aucune envie de «partager»? Que son intimité ne nous regarde pas et donc nous hérisse quand ainsi exhibée, qui plus est dans une mise en scène millimétrée, celle des plans com' hollywoodiens? Car d'autres photos ont suivi, cette fois sur le site de la chanteuse, toujours dans la même veine de tableau baroque en descendance de Pierre & Gilles, avec l'intéressée en épanouie comme jamais.

Glorification de la femme enceinte, érigée en vierge-déesse

Chanteuses (Britney Spears, Mariah Carey, Pink…), actrices (Liv Tyler, Monica Bellucci), mannequins (Cindy Crawford, Claudia Schiffer…), elles sont nombreuses dans le sillage de la pionnière Demi Moore (pour «Vanity Fair» en août 1991) à avoir sacrifié à la-photo-en-femme-enceinte-rayonnante. L'évolution géométrique que prend alors le corps est de fait picturalement intéressante, et ses soubassements (l'émergence de la vie) émouvants. Le problème est ailleurs. Le hic est l'autocélébration onaniste en public jusque dans un événement des plus personnels. Beyoncé signe «Carter» (en épouse et mère de famille donc) mais elle agit en pop star h24, ravitaille le spectateur en victuailles toutes fraîches. Pour couper court aux rumeurs et anticiper les paparazzis, objecteront d'aucuns. Mais alors un communiqué aurait suffi.

Validation de l'exhibitionnisme généralisé en cours, et de la disparition concomitante des frontières entre vie publique et jardin privé, cette série photographique, dont le Guardian a décrypté le style, gêne aussi dans sa glorification de la femme enceinte, évoquée en vierge-déesse. Comme si être ou devenir mère était un graal dont il faudrait être «reconnaissant». De la part d'une autoproclamée féministe, c'est un peu court. Sans compter que Beyoncé enfonce au passage le clou de sa perfection tous azimuts, de la scène aux langes, toujours impeccable, glamour, et efficace en même temps. On remarque au passage l'absence de Jay Z dans la série (alors qu'Ivy Blue apparaît sur un des clichés), suggestion d'une toute-puissance maternelle et d'une fusion mère-enfant.

Alors, certains ont relevé que la «révélation» de Beyoncé est tombée le jour même où commençait le Mois de l'histoire noire aux Etats-Unis. So what? Cet étalage serait donc de l'activisme? Voire un acte de résistance par l'amour et le bonheur contre le climat de haine que diffuse Trump? C'est prêter à Beyoncé un dévouement citoyen total, pas très compatible avec un amour de soi qui va manifestement grossissant.