Avant d'en avoir vu la moindre image, on a parlé de Taboo comme d'un caprice de star. Créée par l'acteur Tom Hardy avec son père (l'ancien auteur de comédie «Chips» Hardy) et Steven Knight, scénariste de Peaky Blinders, la nouvelle série quali de la BBC vient effectivement en premier du cerveau du comédien et de sa volonté de jouer un personnage qui réunirait les qualités et les défauts du Bill Sykes d'Oliver Twist, du Docteur Faust de Marlowe, d'Hannibal Lecter mais aussi de Sherlock Holmes, du Heathcliff des Hauts de Hurlevent et du Marlow d'Au cœur des ténèbres. Pris au jeu de ses recherches et de son idée, Hardy aurait rédigé sur son temps libre un synopsis épais dans lequel il s'épanche en détail sur la décadence de l'époque georgienne, les voyages de James Cook et la guerre anglo-américaine de 1812, avant d'aller voir Ridley Scott, producteur délégué de l'affaire. Faut-il pour autant se tenir à distance de ce que tout désigne comme une extravagance ?
Les premiers épisodes broussailleux et formidablement complaisants de la série, certes réalisés dans un attendu clair-obscur mordoré par Anders Engström (Jordskott) et Kristoffer Nyholm (The Killing), donnent plutôt envie de plonger. Ils content, dans un brouillard historique épais (le Londres pré-victorien, peu exploré à l'écran), le retour au pays après une décennie d'errances africaines du très ombrageux James Keziah Delaney après le décès de son père, ses efforts pour remettre à flot la compagnie maritime et son conflit (à mort) avec la Compagnie britannique des Indes orientales pour récupérer le bien qu'il a reçu en héritage, un bras de terre dans la baie de Nootka en Colombie-Britannique. Alors bien sûr, le trait utilisé pour croquer Delaney, ses comparses des bas-fonds comme ses ennemis honnis de la haute société (le futur George IV, joué par Mark Gatiss, est particulièrement repoussant), est un peu épais et on ne sait trop quoi faire de ces mystérieuses incantations africaines que Hardy profère dans sa barbe quand il ne marmonne pas en ancien cockney. Mais ne serait-ce que pour la folie toute camp de son héros et son portrait à charge de la Compagnie des Indes, présentée par Steven Knight comme «l'équivalent de la CIA, la NSA et de la plus énorme, impitoyable multinationale réunies en un seul monolithe bien-pensant et religieusement orienté», Taboo donne envie de croire à ses emphatiques promesses.