Une phrase, un passage dans un texte provoque, chez le lecteur, une certaine distraction. Le voici qui dérive dans ses pensées. La mémoire, écrit Pivot, «aime bien déclencher sur moi des ricochets».
1- Est-il proustien ?
Journaliste, désormais homme de lettres, Bernard Pivot n'est pas entré au jury Goncourt comme écrivain, mais comme lecteur. Un lecteur de nouveautés. Il n'est pas à la recherche du temps perdu, il n'en a pas le temps, animé par un «goût effréné de l'actualité» qui ne l'a jamais quitté. Il aurait pu, écrit-il, après en avoir fini avec la télévision, se mettre à lire ou relire des génies du passé.
Le Journal du dimanche, qui lui demanda une chronique, et François Nourissier, le conviant chez Drouant, en ont décidé autrement. Retraité, ne recevant plus aucun service de presse, aucune invitation à voter sur le nom d'un auteur, aurait-il construit une cathédrale mémorielle, une autofiction fleuve ? Peu probable. Bernard Pivot est sérieux, soucieux d'exactitude, mais on sent qu'il n'aime pas s'attarder.
Il avance une autre raison pour ne pas se situer du côté de chez Swann. S'il se refuse à toute citation de l'univers proustien, c'est aussi parce qu'il trouve cela snob. «Il y a probablement là un "complexe de classe" : issu d'un milieu tellement éloigné de la société proustienne, j'ai du mal à en paraître, non le familier, réservons cet honneur aux proustiens, mais le simple visiteur. Ce décalage social de lecteur à écrivain, je ne le ressens qu'avec Proust. Serait-ce ce qu'on pourrait appeler du snobisme à l'envers ?»
2- Comment feuillette-t-il la Marguerite ?
Une évocation de la présence silencieuse de Georges Bataille par Philippe Sollers (au temps de Tel Quel), conduit Bernard Pivot à se rappeler que «les silences de Marguerite Duras à Apostrophes étaient sublimes». Il dit avoir essayé d'en prendre de la graine, et cela en vain. Ce n'est pas tout à fait exact, puisque, ayant accepté un rôle muet dans une unique représentation d'Un fil à la patte, il fit durer, une fois sur scène, le plaisir d'être pour une fois silencieux.
Duras revient ricocher plusieurs fois dans ces pages. Bernard Pivot choisit une citation où elle prétend : «J'ai toujours aimé ça, l'urgence de l'écriture journalistique.» Comme tout journaliste de presse écrite - ce qu'il fut pendant quinze ans au Figaro littéraire - il aime se remémorer les records de vitesse ou de productivité des collègues, en l'occurrence Pierre Mazars - quarante lignes en dix minutes pour une «nécro» avant d'aller déjeuner - et Dominique Jamet - quatre ou cinq critiques par semaine «en plus de son travail de secrétaire de rédaction».
3- A-t-il toujours été le même ?
L’homme est trop discret pour s’épancher. Sans doute sa simplicité est-elle complexe, comme pour tout le monde. Quelques allusions montrent qu’il n’a pas changé. Le livre d’Antoine Silber sur son père, Michel Chrestien, renvoie Pivot à ses 23 ans, quand il écrivait un roman, l’Amour en vogue. Chrestien lui donna ce conseil : «Montrez de la bonne humeur ! Cela correspond à votre tempérament.»