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Libération
La prime à la case

Richard Corben, conteur de la crypte

Tous les jeudis, une bande dessinée vue par le petit bout de la lorgnette. Aujourd'hui, le terrible «Grave» de Richard Corben.
Extrait de «Grave – les contes du cimetière», de Richard Corben. (Richard Corben·Delirium)
publié le 4 octobre 2018 à 9h29

Trois silhouettes noires et chapeautées déchirent une nuit sans Lune. Enserrée dans un squelette d’arbres échevelés, une crypte d’où s’échappe un halo de lumière doré. Et puis au premier plan, non loin d’un adorable bouquet de stèles, ce borgne Cassandre, incarnation du Destin qui promet aux lecteurs qu’il va en avoir pour son argent, qu’évidemment l’horreur fétide attend ces pilleurs de tombe au tournant. Une reprise de la maxime d’un célèbre penseur japonais des années 80 : «Tu ne le sais pas encore, mais tu es déjà mort.»

En une image introductive, Richard Corben synthétise à la perfection les codes de la bande d'épouvante apparue au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Celle qui a fichu les miquettes aux adultes au point qu'ils imposent un code de moralité à des comic books jusqu'alors si innocents. Sorti aux Etats-Unis aux dernières lueurs de l'année 2016, Grave – les Contes du cimetière est une œuvre sans âge. Le dernier Grand Prix d'Angoulême y ressuscite un genre popularisé par EC Comics et les éditions Warren et depuis tombé en désuétude.

Des titres où des voyageurs fatigués suivaient la lumière blafarde d'un manoir sorti de la brume. Où des enfants se déchiraient l'héritage d'une grand-mamie un peu trop fraîchement enterrée. Le genre d'histoires qu'on raconte autour d'un feu pour impressionner les enfants. Avec ce petit extra offert par ces bandes décimées : le goût de l'horreur graphique. Celle avec des dents, des vers grouillants, et des ongles qui rayent le parquet tandis que quelque chose nous a agrippé la cheville. On est dans les Contes de la crypte. Ou dans Eerie et Creepy, ces deux revues dans lesquelles Corben a fait ses premières armes.

Après avoir été un génial bidouilleur de couleurs, Corben opte ici pour le travail en nuances de gris. Quelque chose de saison. Il reste ce formidable sculpteur de tronches, taillant dans la matière, arrachant à l'obscurité la moindre ride. Mais le beau livre excavé par les éditions Delirium prouve une nouvelle fois qu'il n'existe aucune règle à laquelle l'Américain se tienne. Chaque chapitre appelle ses propres outils, la 3D succède à la grisaille ou à des clairs-obscurs plus tranchés. C'est beau, drôle et toujours cruel. On notera enfin que l'épais volume présente, tête bêche, un autre pan de la biblio du dessinateur bodybuildé : l'épopée Denaeus. Une dérivation du lointain Den, héros fantasy des années Métal Hurlant, auquel on est moins sensible.