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Libération
Scènes

«Western», des cow-boys dans le blizzard

Dans sa dernière pièce enneigée, le metteur en scène Mathieu Bauer recrée l'ambiance des cinémas populaires.
(Photo Jean-Louis Fernandez)
publié le 19 octobre 2018 à 10h12

Depuis une dizaine d'années, des films emblématiques squattent les plateaux. Ou plutôt leur script, plus ou moins adapté. Le Rayon vert, les Nuits de la pleine lune, Scènes de la vie conjugale, la Règle du jeu, Voyage à Tokyo, ou encore les Damnés ont ainsi traversé les planches récemment, avec plus ou moins d'éclat, et les acteurs ont incarné des personnages souvent iconiques. Dès que les films appartiennent au patrimoine commun, les acteurs sont confrontés à la difficulté d'affronter, d'ignorer, de prendre le contre-pied du modèle original, mais toujours, quoi qu'ils fassent, ils composent avec son ombre mouvante dans la mémoire de certains spectateurs.

Avec Western, qu'on découvre dans un diptyque intitulé Une nuit américaine, Mathieu Bauer se centre moins sur un film en particulier, en l'occurrence la Chevauchée des bannis d'André de Toth, que sur un genre, le western, et ses attributs fétiches : les coups de feu, le ranch, la cavalcade, les cow-boys. Mais pas les Indiens. Et si l'histoire suit peu ou prou celle du film, il y a une forte probabilité pour que le public ignore qui est André de Toth – resté dans l'oubli à la différence de John Ford ou de Raoul Walsh – et n'ait jamais vu ce western de 1959, dont la particularité est de se dérouler dans un petit village montagneux perclu dans la neige, avec des personnages enfermés dehors, pour cause de blizzard qui rend tout déplacement impossible.

Intonations

Un piano, une épaisse neige synthétique, des rouleaux à vue, le squelette d'un ranch symbolisé par une frêle charpente, des musiciens sur scène, dont Mathieu Bauer lui-même et Sylvain Cartigny, qui réinventent la musique originale du film, l'agréent à d'autres bandes originales, et une merveilleuse actrice chanteuse, Emma Liégeois, qui chante My heart's in the highlands de Arvo Pärt. Les acteurs s'expriment tous en parodiant les intonations des versions françaises des westerns des années 50, si bien que c'est moins le film d'André de Toth qui est restitué que l'ambiance d'un cinéma populaire dans une salle pleine à craquer (la grande salle du nouveau théâtre de Montreuil).

Les acteurs surintensifient et surexagèrent, à la manière des enfants qui jouent au cow-boy, la dégaine, les mimiques, la démarche de celui qui a appris à tenir son flingue à l'actor's studio. Est-ce drôle et sympathique ? Ou drôle, sympathique, et un chouïa vain ? La question trotte en boucle, tout comme nos cow-boys dans la neige, tant il est compliqué de jouer longtemps avec les stéréotypes et autres codes du western si on ne les tord pas vers un ailleurs et les spectateurs avec. Les acteurs ne sont pas en cause. En particulier Johanna Hess, travestie en homme, qui fait particulièrement bien la méchante bloquée dans ses mimiques d'alcoolique, semblant prendre la pose pour une photo déjà sépia. Puis, tout d'un coup, une cavalcade immobile, sur des chevaux-tabourets. On y est, la parodie s'efface, le son se fait plus pur, le froid transperce, le spectacle a trouvé un rythme et sa théâtralité. Trop tard ?