Menu
Libération
Disparition

L'artiste-performeuse américaine Carolee Schneemann est morte

Lion d'or pour l'ensemble de son oeuvre à la biennale de Venise en 2017, elle n'a cessé depuis les années 60 de créer pour mettre la marge et le désir au cœur de son art.
L'artiste Carolee Schneemann à New York, au festival du film de Tribeca, en avril 2012. (Astrid Stawiarz/Photo Astrid Stawiarz. AFP)
publié le 7 mars 2019 à 15h56

Elle fut une pionnière de la performance à l'époque, les années 60, où l'on parlait plutôt de happening, tant le spectacle offert, furieusement débridé, semblait surgir sans prévenir pour marquer durablement les esprits. Quelque chose avait lieu en effet quand Carolee Schneemann mit en scène Meat Joy, pièce orgiaque et manifeste, magnifiant le corps et ses fluides, dans laquelle les participants manipulent objets de récupération, rouleau de papier, peinture fraîche, poissons flasques et carcasses de poulets. L'artiste, à qui la biennale de Venise, décerna un lion d'or, il y a deux ans, est morte le 6 mars, à l'âge de 79 ans. Son œuvre peut être perçue comme une manière de contester l'autorité de tout ce qui monopolise le centre – de l'attention et du pouvoir – et relègue les autres dans les marges. Elle ne cessera de dynamiter ce centre.

«Exploser la toile»

En 1961, une fois diplômée de l'université d'art de l'Illinois, elle rejoint New York et la scène de l'avant-garde new yorkaise de la performance, le Living Theater et le Judson Dance Theater. Mais sa formation de peintre lui colle littéralement à la peau. Sa pratique, elle le dira à maintes reprises, vise à élargir les limites du tableau à l'environnement et au corps pour étendre le domaine de la peinture, pour «exploser la toile». De ce point de vue, elle se situe dans la lignée d'un Jackson Pollock et accompagne Robert Rauschenberg dans sa manière de surcharger le tableau au point de le faire tomber du mur.

Mais elle y ajoute une dimension physique et sexuelle. En 1963, pour Eye Body, elle pose devant l'appareil photo de l'artiste Errό, nue, le corps couvert de graisse, de craie, de plastique, et de serpents, au milieu d'un parterre de panneaux peints, de miroirs et de parapluies. Touche-à-tout, elle expérimente le found footage (détournement de vidéos) pour livrer des installations vidéos à la fois engagées (Viet Flakes, réalisé en 1965, est une des premières œuvres s'indignant de la guerre du Vietnam) et oniriques.

Ses images superposées jouent pleinement la carte de la transparence et de l’obstacle, saturant l’espace d’exposition tout en restant diaphanes et impalpables. A Toulouse, il y a deux ans, on se souvient de l’installation «Precarious» (2009) qui occupait une grande salle des Abattoirs. Y projetant une myriade de corps dansants, d’oiseaux gesticulants, l’œuvre faisait peser diffusément sur ce monde édénique l’ombre d’une inquiétude écologique.