Lors de la venue des deux showrunners de Black Mirror à Séries Mania en mars, Netflix nous avait expressément demandé de ne pas évoquer la saison 5 en leur compagnie. On imaginait les épisodes en chantier, retardés par la masse de travail qu’avait exigé «Bandersnatch», expérience interactive livrée à Noël. Double surprise, voilà qu’ils débarquent avant l’été et dans une conception toute britannique de la saison, c’est-à-dire en trois épisodes plutôt que les cinq ou six livrés depuis que Black Mirror a migré sur Netflix.
Condamné à l’irrégularité par son format anthologique, la création de Charlie Brooker et Annabel Jones a toujours été sauvé par quelques épisodes extraordinaires, où une idée poussée jusqu’à son paroxysme anxiogène ouvrait sur un jamais vu et un rarement pensé. Tristement, cette nouvelle livraison se distingue par une homogénéité dans le fade. Certes Brooker n’a pas perdu tout son talent d’écriture et l’on y trouve quelques intrigantes intuitions, comme cette exploration d’une sexualité totalement désincarnée, si fluide qu’elle se passe des corps, des sexes, pour ne se pratiquer qu’à travers des vaisseaux numériques.
Mécanique grippée
Mais à force de l'entendre répéter que Black Mirror ne se réduit pas à «la série qui fait peur avec la technologie», on a l'impression que la mécanique de Brooker s'est grippée et ne sait plus trop sur quel pied danser. Pour la première fois, on piaille devant un épisode qui appréhende une technologie – en l'occurrence la réalité virtuelle – d'une façon qui nous semble si aberrante industriellement qu'il fait vaciller le socle de l'histoire. On a beau se forcer à prendre la chose comme une licence poétique, nous revient sans cesse en tête que c'est précisément en attachant ses technologies à quelque chose de crédible, en faisant en sorte que l'on comprenne d'où elles viennent et pourquoi elles peuvent sembler désirables, que la série parvenait à dépasser l'objet pour se concentrer sur la portée des usages, des choix et, ultimement, de l'humain derrière.
Dans «Rachel, Jack and Ashley Too», peut-être le plus raté des épisodes de Black Mirror, Brooker accumule les circonvolutions technologiques pour accoucher d'évidences sur l'artificialité des pop stars, que même la présence réflexive de Miley Cyrus en Frankenstein rose fluo dédoublée en poupée-assistant personnel ne parvient à réveiller.
C’est finalement lorsqu’elle refuse la prospective que cette saison convainc davantage. Certes la cocotte-minute «Smithereens» ne défriche rien et ne marquera pas outre mesure, mais elle parvient à incarner un mal réel – l’addiction aux notifications – en resserrant son cadre à l’habitacle d’une voiture et en se concentrant sur l’humain, en l’occurrence un chauffeur de VTC transformé en preneur d’otage (Andrew Scott, le Moriarty de Sherlock, croisé aussi dans Fleabag). Reste que cette saison 5 à l’os semble bien lisse pour une série censée penser les dérangements de l’ordre du réel.