Blanc, cela sonne aux oreilles présidentielles comme «rien». C'est qu'il la préférerait «bleue» ou «rose», cette année blanche qu'il veut pour les intermittents. Histoire de dire qu'ils ne seront pas inactifs. Emmanuel Macron, depuis l'Elysée, manches retroussées et «utopie pragmatique» chevillée au corps, dévoilait les grandes lignes de son très attendu plan pour la culture, confie qu'il aimait bien cette «référence à Picasso», à ses périodes, la bleue, la rose, pour parler d'assurance chômage. Il annonce ainsi la prolongation «d'une année au-delà des six mois d'impossibilité de travailler» de leurs droits. Difficile en effet de savoir quelle est la teinte qui sied le mieux à ce dispositif «très compliqué», «très exorbitant du droit commun» selon les mots du Président. Au moins les intermittents en verront la couleur jusqu'en août 2021. C'est ce que le collectif «Année noire» réclamait. Autrement dit, ceux qui ont déjà le statut d'intermittent restent dans le régime et toucheront leurs indemnités, même s'ils n'ont pas fait leurs 507 heures réglementaires.
A lire aussiCulture : Macron, président des «chiche»
David, intermittent nantais qui a lancé une des pétitions en ce sens, est «rassuré», «c'est un vrai souffle, cela nous fait du bien dans cette période difficile, d'urgence financière», dit le musicien qui en était à 120 heures, autant dire loin du compte, quand il a fallu confiner la culture, tout arrêter en mars. «La mobilisation a pris beaucoup d'ampleur et Macron a dit "oui" comme on cède à un enfant turbulent», poursuit-il, les différentes pétitions ayant réuni environ 300 000 signataires. Reste que, comme Loïc, membre du collectif des «Intermittents et Précaires», il attend «le contenu de l'after» : les textes, décrets d'application. «Entre les annonces et la réalité, on est souvent floués, on reste vigilants», souligne Loïc. Surtout, si le dispositif accordé sécurise ceux qui y sont, quid de ceux qui n'ont pas pu ouvrir leurs droits avant qu'on boucle ? Pas un mot. Ceux-là restent à la porte alors que le régime de l'intermittence se caractérise par un important turn-over de bénéficiaires, au gré des années, des saisons, des parcours individuels, trajectoires artistiques. L'année blanche gèle tout : pas de sorties certes, mais pas d'entrées non plus…
«Hiver difficile»
«Les situations terribles sont nombreuses, beaucoup allaient revenir ou entrer dans le régime des intermittents après un hiver difficile, émaillé d'annulations en raison des grèves, ils comptaient sur le printemps et l'été, là où on peut faire nos heures… Eux, ils n'ont rien, ni revenu ni indemnité. Comment vont-ils manger pendant un an ?» s'inquiète Loïc. D'autant que, alerte-t-il, la réforme de l'assurance chômage, «néfaste et dangereuse», n'est pas été supprimée par le gouvernement mais seulement reportée. «Elle risque de frapper durement les plus fragiles en septembre.»
A lire aussiCulture : phrases fortes et flou artistique
Sauf qu'entre-temps, il y aura eu l'été. Et pas n'importe lequel. Un «été à inventer», un «été culturel et apprenant», s'enthousiasme Macron. Il se passera des choses, des petites choses, ça frétillera en bas de chez soi (à moins de 100 bornes, en tout cas). Il se passera tant de choses que ce dispositif d'année blanche, finalement, sera presque accessoire (ce qui, financièrement, s'appelle une «opération blanche»), que les intermittents n'en auront pas besoin : «Ma conviction en faisant cela, cette fameuse année blanche, c'est que je vais donner suffisamment confiance pour que quasiment on n'en ait pas besoin, on va donner avec beaucoup de projets les heures qui permettront à tous ces artistes et techniciens de ne pas activer ces dispositifs.» Sans festivals, tournages, spectacles, où les intermittents pourraient bien faire ces heures ? Dans les écoles, pardi.
«Ils découvrent nos métiers»
C'est la convergence des flous : l'école et la culture rassemblée, enfin, par le Covid-19. Ce que la réforme des rythmes scolaires n'a pas réussi jadis, avec ses activités artistiques sur le temps périscolaire, la crise sanitaire le fera. Quand Macron rend l'antenne, Franck Riester annonce qu'il copréside jeudi le Haut Conseil à l'éducation artistique et culturelle avec Jean-Michel Blanquer. Ils travailleront «jusqu'à fin mai» à la création d'une plateforme de «mise en contact des artistes et de l'Education nationale». «Nous allons rouvrir les écoles à partir du 11 mai d'une façon différente, a dit Riester, saisissons-nous de cette opportunité unique pour […] faire en sorte que tous ces artistes qui vont bénéficier de cette sécurité sur le temps long pour leur avenir puisse retrouver cette envie d'aller au contact de ces jeunes.» Beaucoup d'intermittents s'interrogent : «Est-ce qu'il s'agit d'une contrepartie à l'année blanche ? Ce serait inacceptable. Et puis, on est dans les écoles et les quartiers depuis longtemps. Ils découvrent nos métiers», tacle Loïc. Quant à David, il s'étrangle, «c'est un peu perché d'imaginer aller dans les écoles en ce moment». Le musicien intervient dans l'école à côté de chez lui, et la priorité n'est pas à l'éveil musical, raconte-t-il, il aide à «installer le rubalise pour organiser le lavage des mains des élèves».