Ce billet est issu de la nouvelle newsletter quotidienne du service Culture de Libération, envoyée tous les soirs. Pour s'inscrire, il suffit de renseigner son adresse mail ici.
Le matinalier de France Culture Guillaume Erner le notait en ce jour de commémoration du 18 juin 1940 : Emmanuel Macron semble placé face à des défis mémoriels particulièrement sportifs, parmi lesquels le dossier des statues célébrant, dans l'espace public, le passé colonial de la France ferait office d'épreuve dite «du sac de sable», une des plus redoutables du programme télévisé Koh Lanta. Après le grand domino de monuments observé des Etats-Unis à la Belgique la semaine dernière, le débat s'est enflammé autour de la décolonisation de l'espace public : faut-il déboulonner les salauds du passé ? Et les moitié-salauds, qu'est-ce qu'on en fait ? Doit-on rentrer tous les suspects dans les musées ? Ou doit-on juste multiplier les plaques pour contextualiser ? Des sauts d'obstacles que le Président pensait avoir franchi haut la jambe en déclarant, dimanche : «La République n'effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire» car on ne peut «revisiter ou nier ce que nous sommes», tranchait-il quelques jours avant que son Premier ministre ne glisse dans la fosse aux araignées en évoquant l'«épuration mémorielle» – carrément – que réclameraient aujourd'hui les militants antiracistes.
Pendant que tout le monde ramait dans la vase, un aventurier plus rusé que les autres se frayait son propre chemin, une troisième voie que personne n'avait encore foulée. Ce matin, dans le quotidien belge De Standaard, on découvrait ce dessin, signé Lectrr, représentant une statue équestre du roi Leopold II, non plus vandalisée comme elle le fut, mais en train de se faire pisser sur la toque par une seconde statue, plus haute et installée à côté – Manneken-Pis, petite fontaine en forme d'angelot pisseur, bien connue des Bruxellois puisqu'installée à deux pas de la Grand-Place.
L’idée « intéressante » de LECTRR dans De Standaard. Si on n’enlève pas les statues de Leopold mais si on les contextualise par une autre statue placée à côté’ il propose un Manneken Pis se soulageant sur la tête du Roi! pic.twitter.com/FMxFFx8juD
— Guy Duplat (@guy_duplat) June 18, 2020
De quoi donner de joyeuses idées. Et si, puisque le Président français répugne à déboulonner, l'on appliquait à ces monuments controversés ce que les créateurs pirates appliquent aux images de films, aux articles de presse, aux photos de grandes personnalités : l'art désinvolte et malicieux du détournement politique ? En France, le calendrier s'y prêterait parfaitement. En effet, alors qu'Emmanuel Macron a annoncé, dans son improvisation théâtrale du 6 mai à l'adresse du milieu de la culture, un vaste plan de commandes publiques, tout est encore en chantier sur le sujet. On sait seulement qu'il concernera «prioritairement» les artistes de moins de 30 ans. Qui se feraient certainement un plaisir de répondre à un grand appel à projets, sur les façons de dialoguer – par statues interposées – entre héros d'hier et valeurs d'aujourd'hui.