Depuis le début, c’est lui qui avait raison. Cela fait des générations que tout le monde se fiche de ce personnage de 1839 : regardez-le qui essaie tant bien que mal de se réchauffer en brûlant les invendus de ses recueils dans son poêle, en train de compter le nombre de syllabes avec sa main droite pour composer ses pauvres vers. Il est couché sur une paillasse. Au-dessus de lui, un parapluie très fatigué pallie les défauts du toit. Il est entouré de vieux bouquins prétentieux. Face aux fiers écrivains romantiques qui affrontaient les tempêtes debout sur des rochers, les cheveux dans le vent, lui garde son bonnet de nuit parce qu’il fait froid.
Rappelez-vous. Nous étions comme lui en mars de cette année, quand le confinement nous est tombé dessus : à devoir désormais écrire nos articles depuis chez nous (c'était encore l'hiver et à Libé on a aussi des invendus pour allumer les cheminées de nos mansardes), à compter le nombre de signes d'un article à rendre à son chef de service avant lundi midi. Bien content en tout cas de pouvoir bosser le dos soutenu par un oreiller moelleux (vous avez vu comme le sien fait envie ?) plutôt que de nous rendre à l'open space et de participer à des réunions, éléments du travail moderne qui pourraient bien être la tempête et les rochers de 2020.
Symbole du ridicule et de la fatuité à son époque, le Pauvre Poète de Carl Spitzweg a tout pour devenir aujourd'hui celui d'un confinement intello-bobo-cosy. Et même du télétravail, sans les horreurs des rendez-vous Skype. Ça donnerait presque envie.
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