Un corps, un ventre peut-être, une membrane rose chair qui nous enveloppe – quelle chaleur sous ce chapiteau. Un organe en tout cas qui dévore, déglutit et régurgite des hommes et des femmes vidés de leur substance, pantins dégingandés aux traits floutés. Condamnés. Les autres, avocats et magistrats en robes, défilent et nous regardent derrière des masques inquiétants tels de gros poissons le long de la paroi d’un aquarium.
Avec Léviathan, créé au Festival d’Avignon, Lorraine de Sagazan s’engouffre dans la question de la violence judiciaire. Pendant plusieurs mois, avec Guillaume Poix qui signe le texte de la pièce, elle a assisté aux longues journées de comparutions immédiates, ces audiences qui font défiler des dizaines de prévenus au lendemain de leur garde à vue, accompagnés d’avocats commis d’office qui ont à peine eu le temps de prendre connaissance du dossier, devant des juges excédés par le nombre d’affaires à gérer – car alors il est plus juste de parler de gestion que de justice. Expéditives, les comparutions immédiates ne devaient être, à leur création en 1983, qu’exceptionnelles. Elles sont un lieu commun judiciaire aujourd’hui. «Un petit peuple de précaires plus ou moins violents», des hommes dans leur grande majorité, des sans domicile fixe souvent, qui se retrouvent dans une même pièce à attendre leur tour de passer dans le box. «On ne s’est pas lavé depuis plusieurs jours à cause de la garde à vue. Ça pue. La comparution immédiate, elle a une