Quand elle peint la mer, Vija Celmins ne le fait comme personne. Elle le fait systématiquement dans un noir et blanc sourd et surtout, vaguelettes après vaguelettes, sans laisser place à l’horizon. L’onde occupe toute la surface de la toile, à perte de vue. Dès lors, il est impossible de s’y repérer et de savoir au juste quelle étendue est peinte. Est-ce une immense surface d’eau qui est représentée ou bien est-ce un petit pan d’océan vu de près ? Le même admirable trouble, attisé par le motif lui-même, cette masse d’eau ondulante qui n’offre que d’infimes variations, et donc zéro repère, se répète dans toute l’exposition de la Fondation Beyeler. Sauf au début, consacré aux premières années de carrière de l’artiste américaine.
Née en 1938 en Lettonie, tôt émigrée en Californie, elle ne fait pourtant déjà pas comme ses pairs qui répercutent l’espace et la lumière de la Côte Ouest. Elle peint des natures mortes qui se limitent à un objet domestique figuré dans des gris et des bruns ternes qu’enflamme parfois le rouge incandescent de la résistance électrique d’une plaque chauffante (Hot Plate, 1964) ou d’un radiateur (Heater), voire les jaunes de quatre œufs sur le plat (Eggs, 1964). Des objets sans grâce, mais pas sans danger, incendiaire en somme, comme un écho de la violence du monde de la guerre froide. La menace est toujours sourdement rendue par Celmins, qui peint entre 1965 et 1967 des bombardiers en plein vol ou la couverture du Time Magazine