Lors d’une séance de lecture collective avec ses étudiants des beaux-arts de Paris, Julien Creuzet est resté sans voix. Un nuage s’est formé au-dessus de sa tête : l’un de ses étudiants ayant préféré remplacer le terme de négritude cher à Aimé Césaire par trois points de suspension «hum, hum, hum». Un blanc, en somme. Cette démonstration par le vide, laissant penser que certains mots sont devenus imprononçables, l’interroge encore, des semaines plus tard, alors qu’il inaugure son exposition au Magasin de Grenoble. Lui, trouve problématique de ne plus pouvoir mettre des mots sur les choses. D’autant que les siens, nombreux, imagés, sont choisis avec précaution, pesés un à un, distillés par petites grappes dans les titres à rallonge de ses œuvres, dans ses vidéos et ses chansons qu’il interprète merveilleusement d’une voix trainante ou éraillée pour dire l’histoire enchevêtrée, les blessures qui continuent de saigner, le deux poids deux mesures entre la France métropolitaine et la Caraïbe où il a passé son enfance.
D’ailleurs, même lorsqu’il s’adonne à l’exercice périlleux et toujours un peu ingrat du questions /réponses avec les journalistes venus en nombre visiter sa quasi-rétrospective grenobloise, il parvient à imposer un rythme ralenti, tournant 7 fois sa langue dans sa bouche avant de déployer parcimonieusement son interprétation de telle ou telle œuvre, et sa réflexion nettement plus assurée sur le délitement et le délaissement de la Martinique, dotée par exemple d’un Fr