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Libération
Haine

A Lyon, trois artistes de la Biennale de la danse victimes d’une violente agression raciste

Injuriés et frappés devant un bar de la Croix-Rousse vendredi 26 septembre, la chanteuse et chorégraphe Dorothée Munyaneza, le musicien Ben LaMar Gay et le poète Julianknxx ont déposé plainte. Ils ont tenu à revenir, malgré tout, sur scène le lendemain.

Dorothée Munyaneza, ici dans le spectacle «Toi, moi, Tituba» à Paris en 2024, est l'une des victime de l'attaque raciste. (Laurent Philippe/Divergence)
ParSonya Faure
Cheffe de service adjointe - Culture
Publié le 28/09/2025 à 14h31

Dans le spectacle Version(s) qu’ils donnaient pendant quatre soirs à la Villa Gilet, dans le cadre de la biennale de Lyon, la chorégraphe et chanteuse Dorothée Munyaneza, née au Rwanda, et le musicien de Chicago Ben LaMar Gay dissèquent la masculinité et ce que les hommes transmettent ou non à leurs fils. La violence qu’on reçoit et qu’on répercute, mais aussi en quoi les corps noirs sont particulièrement vulnérables. A la fin de leur performance, à 23 heures vendredi 26 septembre, ils quittent le théâtre accompagnés du poète et cinéaste Julianknxx, rentrent dans un bar de la Croix-Rousse pour demander l’adresse d’un restaurant qui servirait tard.

Chloé Siganos, responsable du spectacle vivant au Centre Pompidou, partenaire de la Biennale, raconte : «Ils ont été pris à partie par des gens enivrés qui les ont interpellés : “Nous, on aime Trump ! Est-ce que vous aimez Donald Trump ? Sale nègre rentrez chez vous !” Les trois artistes sortent du restaurant sans chercher à répondre mais les quatre hommes les poursuivent, certains les jettent à terre, frappent Ben et Julian. Dorothée pleurait et hurlait à l’aide. Personne n’a appelé la police.» Ils parviennent à s’en tirer, commandent une VTC qui les ramène à leur hôtel. Prévenue, la direction de la Biennale de danse les accompagne durant la nuit aux urgences. Ben LaMar Gay s’en sort avec une attelle à la cheville et deux jours d’interruption de travail.

Un «spectacle de résistance»

Le lendemain, Chloé Siganos a accompagné les trois artistes au commissariat pour déposer plainte pour «violences commises en réunion» et injures raciales. «Ils étaient trop choqués pour prendre la parole publiquement ou écrire un texte, explique-t-elle. La Biennale, la Villa Gillet et le Centre Pompidou ont donc publié un communiqué commun pour dénoncer ces actes graves.» Publié sur le site de la Biennale, le communiqué dénonce «cette violence insupportable qui […] rappelle combien le racisme continue à traverser et blesser notre société». Grégory Doucet, le maire de la ville a condamné l’agression et assuré les trois artistes de son «soutien» et de sa «solidarité» : «Lyon puise sa force dans ses valeurs d’humanisme, d’égalité et de respect. Elle ne cédera jamais face au racisme. Face à la haine, restons unis.» L’ancien président de l’Olympique lyonnais Jean-Michel Aulas, qui vient de déclarer qu’il était candidat à la mairie, a lui aussi réagit sur le réseau social X : «Lyon est et restera une terre de culture, d’ouverture et de respect. Le racisme est un poison qui n’a pas sa place dans notre ville.»

Malgré le choc, les artistes ont tenu à poursuivre les représentations et, à peine sortie du commissariat, Dorothée Munyaneza retrouvait sur scène l’écrivain Mohamed Mbougar Sarr, qu’elle avait invité à la Biennale pour un échange autour du thème «Faire place aux corps nouveaux». «C’était extrêmement émouvant, témoigne Chloé Siganos. On parle souvent dans les débats et dans les spectacles de la violence, de la tension et de l’extrême vigilance auxquelles sont contraints les corps racisés. La réalité venait malheureusement d’en donner l’exacte illustration. Ils sont revenus sur l’agression, Mohamed Mbougar Sarr a dit sa colère mais il a aussi trouvé les mots juste pour dénoncer et réparer. Nous avions réuni à la Biennale des artistes du monde entier, de Chicago, Lagos ou Londres, nous pensions avoir construit un espace protégé pour parler, réfléchir ensemble. Tout cela a éclaté.» Mais Dorothée Munyaneza et Ben LaMar Gay continueront à tourner leur performance, qu’ils considéraient déjà comme un «spectacle de résistance». Version(s) sera donné au Théâtre de Chaillot, à Paris, du 2 au 4 octobre, et Ben LaMar Gay jouera le 7 octobre à la Dynamo de Pantin.