«Nous souhaitons avec cette contre-tribune manifester notre désaccord.» Dans un texte publié sur le site Cerveaux non disponibles, des centaines d’artistes fustigent à la fois la tribune de défense de Gérard Depardieu et «la défense de Macron» qui à leurs yeux «sont autant de crachats à la figure des victimes [de l’acteur français] mais aussi de toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles».
«C’est l’illustration sinistre et parfaite du monde d’avant qui refuse que les choses changent», estiment les signataires qui étaient 600 samedi matin. En fin de journée, on atteignait les 2500 signatures. Parmi elles, on retrouve les chanteuses Angèle, Pomme, Imany, Louane, les chanteurs et producteurs de musique comme Médine et Vitalic, les actrices Judith Chemla, Corinne Masiero, Clotilde Hesme, l’humoriste et chroniqueur sur France Inter Waly Dia…
Ils déplorent qu’après «le président de la République, venu au secours de Depardieu, c’est donc au tour du «monde de la culture», enfin d’une petite partie (d’un vieux monde qui s’écroule), de s’exprimer : 55 personnalités qui prétendent laisser la justice faire son travail et s’opposent au «lynchage» du monstre sacré du cinéma français». Ils résument : «Lorsqu’on s’en prend à Depardieu, ce serait à l’art que l’on s’en prendrait ! Comme si Depardieu représentait l’art en France. Comme si le statut d’artiste ou le talent justifiait un traitement singulier.»
Tombé de son piédestal après la diffusion début décembre d’images où il multiplie les propos misogynes, Gérard Depardieu, visé au total par trois plaintes pour agression sexuelle ou viol qu’il réfute, divise le monde du cinéma et au-delà.
«Nous ne pouvons pas rester muet·te·s !»
Selon les signataires du texte publié vendredi 29 décembre, «c’est l’inversion des rôles où le bourreau (le «monstre», l’homme, pas du tout sacré, mais juste obscène) se place en victime, avec l’aide de ses ami·e·s. Comme toujours dans les affaires de violences sexistes et sexuelles à l’égard des femmes, la «présomption d’innocence» pour l’agresseur sonne comme une «présomption de mensonge» pour les femmes qui témoignent contre lui».
Cette contre-tribune fustige le texte défendant l’acteur soupçonné de viols et d’agressions sexuelles écrit par Yannis Ezziadi, un comédien et éditorialiste chez Causeur, proche de figures d’extrême droite. Certains signataires, qui semblaient ignorer le profil de l’auteur, s’en sont depuis désolidarisés, sans pour autant rejeter le fond du texte. «Ne vous trompez pas, nous aussi, nous souhaitons que la justice fasse son travail. C’est même ce que les féministes réclament à cor et à cri depuis toujours, [mais] impossible de faire comme si de rien n’était, en attendant «que la justice fasse son travail». Nous ne pouvons pas rester muet·te·s !» rappellent les 600 artistes signataires du texte. Avant de poursuivre : «Surtout, se réfugier derrière le «laissons faire la justice», ou le pathétique «il faut séparer l’homme de l’œuvre», c’est accepter de mettre son propre jugement de côté. C’est estimer que nous n’avons aucun rôle à jouer dans l’évolution de notre société. Que nous ne pouvons pas aider et soutenir les victimes. Or c’est faux.»
«L’art refuse de se soumettre à leur système»
Les signataires figurent enfin leur rôle et celui de l’art : «Que la justice fasse son travail. Mais nous devons également faire le nôtre. Celui de soutenir les victimes et de ne pas laisser tranquilles des agresseurs, des violeurs, des oppresseurs. Qu’ils ne puissent plus penser qu’ils peuvent agir en toute impunité, et parfois même en étant récompensés et glorifiés.» Et de préciser : «Nous sommes là pour rappeler que l’art n’a pas à être fait par des idoles hors de la réalité, l’art n’est pas du côté des caprices de star. L’art refuse de se soumettre à leur système. La production de l’art n’est pas une abstraction située en dehors des dynamiques sociales.» Et de conclure : «Alors oui, nous allons nous retrouver, nous regrouper, et nous soutenir. Et si cela dérange Depardieu, Macron et 56 «célébrités» de la culture, tant mieux.»