Et si la ville telle que nous la connaissons avait été sciemment dessinée pour être un magasin à ciel ouvert, conçue pour déambuler et acheter ? C’est la question que pose l’exposition «Le Spectacle de la marchandise» visible jusqu’au 8 septembre au musée des Beaux-Arts de Caen, par le truchement de peintures, d’objets et de photographies réalisés entre 1860 et 1914. Les artistes réunis ici (Jules Adler, Fernand Pelez, Pierre Bonnard, Edouard Vuillard, Raoul Dufy, Maximilien Luce et Théophile Steinlen) ne sont pas dupes de cette volonté de faire des citadins des consommateurs en puissance ; ils les montrent à juste distance, le nez sur une vitrine ou noyés dans la marchandise, tour à tour critiques et amusés par cette nouvelle effervescence.
Prolétariat invisible
Entre les vitrines chatoyantes et la mise en spectacle des objets (avec la publicité, la typographie, les colonnes Morris, l’éclairage au néon…) s’inventent, à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, les prémices du merchandising dont l’acmé serait l’arrivée, en 1852 à Paris, du Bon Marché. Ce temple du luxe et de l’abondance vient hisser l’acte d’achat au rang d’activité noble. «Palais irréel et luxuriant, le grand magasin déborde de multiples marchandises placées là comme autant de petits miracles», écrivait Anthony Galluzzo dans la Fabrique du consommateur (éd. La Découverte/Zones, 2020). Or cet émerveillement n’est possible qu’à une condition : que ce luxe irrésistible mette à l’abri du regard l’exploitation qu’il i