Menu
Libération
Expo

Alberto Giacometti, traits très fins

Retour à l’Institut Giacometti sur un pan méconnu de son œuvre : la sculpture peinte.
Giacometti, «Quatre figurines de Londres, version A», 1965. (Succession Alberto Giacometti)
publié le 20 juillet 2024 à 10h21

De ses premières œuvres à sa mort (en 1966), Giacometti a peint une centaine de sculptures (en plâtre ou en bronze) tout en se défendant d’en faire des œuvres à part. «La peinture fait partie de la sculpture, expliquait-il à son galeriste Pierre Matisse, en 1950, elles sont peintes à l’huile comme les tableaux.» Et l’artiste d’insister : «ne pas parler de sculptures peintes» comme s’il n’y avait rien de spécial à ce qu’il surligne de lignes rougeâtres ou de tracés brunâtres quelques courbes, reliefs et replis de ses silhouettes plâtreuses.

Réunissant une poignée de sculptures toutes maculées de coups de pinceaux ainsi que des toiles de l’artiste, l’exposition à l’Institut Giacometti se penche sur la question sans la rendre épineuse. Les traces de peintures apparaissent sur les plâtres comme des virgules qui dessinent au mieux l’esquisse d’un squelette, les orbites des yeux, les rotules, guère plus. Mais, ces touches aléatoires et pas nettes épousent et surlignent finalement ce que la peau des sculptures a invariablement de boueux et boutonneux. Giacometti peint par touches brouillonnes des bouillons de corps. Qui ne sont pas peints en effet, mais juste balafrés de coups de pinceaux qui viennent après les incisions au couteau dans le plâtre. C’est une peinture à vif et sur le vif qui est mise en œuvre aussi sur les portraits peints.

Méconnue, cette facette de l’œuvre de Giacometti révèle ici une froideur clinique. Sur toile, il cisèle les traits du visage de ses modèles à coups de pinceau fin, noir, et minutieux avant d’abandonner peu à peu le cou, les épaules, le buste, sans parler du reste, laissé en friche. Ce que l’exposition met ainsi à jour, c’est le goût de l’inachevé que cultive Giacometti dans son art, laissant ses sculptures (et ses portraits peints) au seuil d’un gouffre, entre ici et ailleurs. C’est sans doute la fonction de ses cages (ces armatures qui enclosent à demi les sculptures autant que ses cadres dont sont cernés les sujets sur toile) : elles ébauchent une limite au-delà de laquelle les personnages n’auraient plus de raison d’être, plus de tenue, plus de vie. La peinture sur les sculptures ne vaut de même que comme la trace ténue de leur fragilité. Elle n’en orne pas la surface, ne leur prête aucun éclat. On dirait qu’elle vient de l’intérieur, de leurs entrailles. Elle est une poussée de sueur ou de sang.

Alberto Giacometti, Ne pas parler de sculptures peintes, à l’Institut Giacometti, à Paris (75014), jusqu’au 3 novembre.