Tous les deux ans, le Consortium livre un éventail subjectif de la création plastique contemporaine, sa biennale, où les expositions personnelles se visitent au fil des quatorze salles du centre d’art dijonnais comme se feuillettent les pages d’un «Almanach» (titre de l’événement). Donc sans chercher de lien entre elles, mais en espérant que s’y inscrivent les traces de l’esprit du temps. Lesquelles paraissent, sans surprise, résolument picturales, tous les artistes – hormis deux – faisant œuvre de peinture, figurative qui plus est. Mais les propositions brillent par leur singularité. A commencer par celle de Scott Kahn, 77 ans, inconnu au bataillon jusqu’à il y a quelques années quand un jeune artiste, star éphémère de la scène new-yorkaise, affirme ne regarder que lui. Dès lors, la cote de Kahn se met à flamber. Ses toiles dépeignent, d’un pinceau qui mouchette, des scènes de rêves éveillés où les personnages se tiennent cois, les bras ballants ou la tête soclée, au milieu de paysages chargés de nuages et d’obscurs présages. Un intérieur figure une porte qui s’ouvre sur une pièce brumeuse au sol dallé tandis qu’à gauche la fenêtre donne sur des gratte-ciel noirs comme les tours d’un château gothique. Soit une peinture tentatrice qui incite à franchir le Rubicond, le Styx, entre le réel et le cauchemar.
Dans une autre veine, Rafael Silvares prend aussi le spectateur par la main en déroulant à ses pieds une flopée d’escalators grimpant vers un sommet plongé dans des bouffées vaporeuses de couleurs flamboyantes. Les autres toiles s’appuient pour la plupart sur des objets mécaniques et domestiques à la surface chromée, autour desquels la peinture s’enroule et tourbillonne en pulpeuses volutes. A la fois lisses et charnelles, nappées de jaune sulfureux et d’orangés crépusculaires, les œuvres donnent des sueurs froides en surchauffant la surface. Celles de la régionale de l’étape, Cécile Maulini, folâtrent en revanche avec des airs et des images doucereux (des petits cœurs papillonnent sur un ciel d’aurore, des méduses flottent et se transforment en motifs de fer forgé…) mais dans un système de composition typique des toiles du quattrocento, où le tableau se divise en deux espaces séparés par des arches.
L’artiste joue donc d’une enfilade de plans et de paysages, de la profondeur et de la surface, de la perspective et du décoratif, en s’en tenant à une gamme de motifs innocents où fourmillent l’élégance des petites choses de la vie et des arts. Un retour à l’enfance qu’assument les sculptures débonnaires de Stefan Tcherepnin. L’installation que peuplent ces trois répliques de Macaron le Glouton, monstre pataud et à poils doux de Sesame Street, est rythmée par un tic-tac mécanique qui sort d’un capot de voiture pendu au milieu de la pièce et le clignotement synchronisé d’une lampe fixée au plafond d’une bagnole en carton-pâte, qui s’est encastrée dans le mur. La scène, à la déglingue comique, décrit peut-être un état d’hébétude contemporain mais surtout le parti pris de le tourner en dérision. Et résume peut-être, dans ce goût sans excès ni trop de vague, pour l’absurde, l’ensemble de l’Almanach.