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Alice Neel, chairs chéries

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Privilégiant l’aspect engagé et militant de l’artiste américaine, une belle exposition au centre Pompidou rassemble ses portraits de «névrosés, fous et miséreux». Ceux qu’elle préférait portraiturer avec tendresse et acuité.
«Margaret Evans Pregnant», peinture de 1978, et «Andy Warhol», réalisé en 1970. (Alice Neel/The Estate of Alice Neel)
publié le 18 novembre 2022 à 7h35

Le pinceau leur a creusé les cernes et y a déposé du noir, du jaune moutarde, du vert-de-gris, des teintes malades qui éteignent leur regard à la fixité pathétique. Ils ne regardent plus rien ni personne, sinon sans doute ce que fut leur existence avant qu’ils n’atterrissent là, dans le réfectoire bien tenu de cet hospice américain financé dans les années 60 par des fonds fédéraux. Qui, de toute façon, pourraient-ils regarder ? Qui leur rendrait visite ? Qui leur tirerait le portrait, immortalisant ce corps qui penche dangereusement vers celui, tout fripé et fiable de sa voisine, alors que la troisième protagoniste du tableau serre les dents et égratigne la nappe des tressaillements nerveux de sa main crochue ?

Alice Neel l’a fait avec cette toile, The Great Society. Et elle a fait de même dans toutes les autres exposées au centre Pompidou. Elle a peint «les névrosés, les fous et les miséreux», ainsi que, selon les propres mots de l’artiste américaine (1900-1984), des «gens ordinaires», des gens plus chanceux, plus riches, plus connus, dont Warhol. Même si elle le peignit alors que le génie était au plus mal et au plus moche, le buste traversé de part en part de sutures, après la tentative d’assassinat dont il fut la cible en 1968. Aucun des modèles que fait poser devant elle Alice Neel n’a de souci particulier avec ses proches, avec la société, ou avec la représentation des hommes et des femmes en peinture.

«J’ai toujours aimé les perdants, les outsiders»

En s’organisant en deux sections, l’une v