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«Antefutur», l’étau moderne

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Au CACP de Bordeaux, de jeunes artistes rient jaune d’un présent malade qui n’augure rien de bon, en alliant nouvelles technologies et matériaux traditionnels.
«Cœurs simples» (2022) d’Agnes Scherer. (Aurélien Mol/Agnes Scherer. Sans titre, Paris)
publié le 24 juin 2023 à 6h11

Deux jeunes filles, couchées sur un même matelas, ont le nez collé à leur ordinateur et la main vissée à leur téléphone. L’une, claquée, s’est endormie. A l’autre bout du lit, la deuxième continue, vaille que vaille, à tapoter sur son clavier, submergée par un écheveau d’étiquettes en papiers où sont retranscrites, à la main, sa correspondance professionnelle, ses suppliques financières rejetées et les exigences pressantes de ses interlocuteurs. Elle est artiste, fauchée et débordée. Dans cette installation en forme de saynète grotesque avec ses personnages en plâtre et ses accessoires en bois peint et papier mâché, Agnes Scherer dresse un tableau comique et dépressif de la vie moderne telle que la mènent des êtres asservis au boulot, aux écrans et condamnés à répondre quand on les sonne – des clochettes pareilles à celles qu’agitaient les maîtres bourgeois pour appeler leurs serviteurs surplombent la couche.

L’exposition au CAPC résonne partout des accents de ce rire jaune que les jeunes artistes poussent devant les promesses et les affres de leur époque, celle du tout-numérique, de la pandémie, du réchauffement climatique, des tensions géopolitiques. Le titre du show («Antefutur») suggère un mouvement d’avant en arrière et surtout un élan entravé : avant le futur, c’est donc maintenant, un présent malade qui ne permet pas de se projeter très loin. D’où peut-être cette esquisse de clinique ou de laboratoire médical, avec des tables d’opération métalliques couvertes de peaux