Devant la baie vitrée du Crédac donnant sur les immeubles d’Ivry-sur-Seine et, au loin, de Paris, Caroline Bachmann a dressé une longue et courbe palissade de toiles peintes d’un paysage endormi sous des nuées nocturnes tandis qu’au centre de la composition, s’allument les feux pâles du soleil levant. Si l’effet de contraste entre le panorama urbain et celui montagnard de la peinture est saisissant, autre chose se joue dans ce polyptyque. Loin de figer son sujet, il le laisse filer. Des dômes lumineux éclosent près du soleil, les nuages s’étiolent et, sur les bords, court un cadre écumeux en trompe-l’œil. Toute lisse, la surface de cette peinture, le Matin, contribue à entraîner le paysage dans la danse de même que les contours arrondis, sans arêtes, de chacun des éléments. C’est une peinture qui flotte. Elle fait oublier sa matière et, dirait-on, s’en déleste. De même qu’elle se déleste de son sujet exact : le paysage du lac Léman sur les rivages duquel l’artiste suisse gribouille des espèces de schémas, annotés de mentions précisant les teintes à apporter dans telle ou telle zone, plus ou moins densément formée. Elle dessine donc sur le motif, mais peint loin de celui-ci, dans son atelier berlinois, ces représentations éthérées plutôt que terre à terre, du lac.
Cet art prend volontiers le large donc, en s’élevant : le ciel nocturne ou auroral, la lune, son halo laiteux, la queue d’une comète orangée qui se reflète dans l’eau connecte l’horizontalité du lac à l’espace