La fondation Rafto des droits humains a attribué jeudi 19 septembre son prix à l’artiste cubain Luis Manuel Otero Alcántara, actuellement en prison. Par «son opposition intrépide à l’autoritarisme à travers l’art», le plasticien «est le fer de lance d’une nouvelle génération de voix cubaines indépendantes utilisant des formes créatives de résistance pour défier le régime autoritaire», souligne l’organisation basée à Bergen, en Norvège. «Son art et son engagement civique repoussent les limites de la liberté d’expression face à la censure et à la répression», ajoute Rafto.
The Rafto prize 2024 is awarded to Cuban artist and human rights defender Luis Manuel Otero Alcántara, for his fearless opposition to authoritarianism through art. Read the complete Award Statement here. https://t.co/MucQWWPwW4
— Rafto Foundation (@RaftoFoundation) September 19, 2024
Photo: María Matienzo#FreeLuisMa #Patriayvida pic.twitter.com/W774NfXyDe
Considéré comme «prisonnier d’opinion» par Amnesty International, Luis Manuel Otero Alcántara a été arrêté le 11 juillet 2021 à La Havane alors qu’il s’apprêtait à rejoindre les défilés qui ont rassemblé des milliers de Cubains pour réclamer plus de libertés et de meilleures conditions de vie. En juin 2022, il a été condamné à cinq ans de prison pour «insulte aux symboles de la patrie, outrage et trouble à l’ordre public». Il a donc déjà purgé trois ans et deux mois de sa peine. Avant 2021, il avait déjà été plusieurs fois arrêté et emprisonné.
«Tes médailles pendent aux vitrines du pouvoir»
Cet «artiviste» – contraction d’artiste et d’activiste – autodidacte de 36 ans s’est fait connaître par son franc-parler et ses performances iconoclastes. Dans celle qui lui vaut d’être condamné pour «insulte aux symboles de la patrie», il s’enveloppait dans un drapeau cubain au fil des activités quotidiennes (au lit, aux toilettes, en cuisinant), par dérision mais aussi par refus de voir la bannière nationale confisquée par le régime communiste.
Ses proches diffusent les nouvelles de la détention de «Luisma» à travers un compte Facebook. En août, il a pu transmettre par ce biais un poème dédié au lutteur Mijaín López, médaillé d’or aux Jeux olympiques de Paris et fleuron de la propagande castriste. «Aujourd’hui tes médailles pendent aux vitrines du pouvoir, leur éclat n’illumine pas mes nuits…» écrivait-il.
Il s’est en outre engagé dans le mouvement San Isidro, collectif d’artistes qui s’étaient barricadés en 2020 dans un local de La Havane pour protester contre une loi, le décret 349, qui soumet toute activité artistique à une autorisation préalable de la censure. La police avait expulsé les contestataires après dix jours de résistance. Quelques mois plus tard, alors qu’une caméra surveillait jour et nuit son domicile, Otero Alcántara entamait une grève de la faim. Pendant son hospitalisation de force, les policiers étaient rentrés chez lui et avaient détruit ses dessins.
Malades de la dengue en prison
Parmi le millier de détenus politiques répertoriés à Cuba par les ONG, notamment Prisoners Defenders, figure une quinzaine d’autres artistes. Le plus connu est le rappeur Maykel Castillo «Osorbo», condamné lors du même procès qu’Otero Alcántara, mais à une peine plus sévère : neuf ans de réclusion qu’il purge dans une prison de la province de Pinar del Río, à l’ouest de La Havane. Comme d’autres compagnons de cellule, il a été atteint par la dengue, une maladie transmise par les moustiques et en forte augmentation à Cuba. En avril, d’après ses proches qui ont un contact sporadique avec lui, il a subi un violent passage à tabac après s’être plaint du manque de nourriture.
Témoignages
Le chanteur reste sous les verrous alors qu’il a régulièrement manifesté son accord pour être expulsé du pays. L’exil est souvent le marché proposé aux dissidents médiatiques par les autorités, comme l’avaient raconté à Libération la plasticienne Tania Bruguera et l’historienne de l’art Carolina Barrero. Après maintes pressions, les deux femmes avaient accepté de quitter l’île.
Le prix annuel que décerne depuis 1987 la Fondation Rafto, doté de 20 000 dollars (18 000 euros), rend hommage au défunt historien et militant des droits humains norvégien Thorolf Rafto. Il est considéré comme une «antichambre» du Nobel de la paix, puisque quatre de ses anciens lauréats ont ensuite reçu la prestigieuse récompense : la Birmane Aung San Suu Kyi, le Timorais José Ramos-Horta, le Sud-Coréen Kim Dae-jung et l’Iranienne Shirin Ebadi.
En 2023, le prix Rafto avait été attribué à Defence for Children International, une ONG suisse, pour son action en Palestine. Le Nobel de la paix 2024 sera annoncé le 11 octobre à Oslo.