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Libération
A la barre

«Je savais le risque dès le départ» : à Paris, un homme jugé pour avoir volé une œuvre de Banksy assure qu’il a agi à la demande de l’artiste

Au tribunal judiciaire de Paris, un homme a comparu ce lundi 10 juin pour avoir volé un «graffiti» de Banksy en 2019. Devant les juges, il a affirmé avoir «rendu service» à l’artiste, après que ce dernier lui en aurait fait la demande.
L'œuvre de Banksy se trouvait sur le panneau du parking souterrain du centre Pompidou. (AFP)
publié le 10 juin 2024 à 20h21

Ça pourrait presque être une scène de film. Devant le juge et les deux assesseures, un homme s’appuie à la barre, dans un imper gris Burberry lui arrivant jusqu’aux chevilles, cheveux longs rassemblés en chignons et grolles noires. Ce lundi 10 juin, Mejdi R., 38 ans, a reconnu un vol commis en 2019, celui d’un «graffiti» réalisé par l’artiste Banksy sur le panneau du parking devant le centre Pompidou de Paris. Il représente un rat au museau masqué par un foulard blanc tenant entre ses pattes un cutter.

Les faits se sont déroulés dans la nuit du dimanche 1er au lundi 2 septembre 2019, aux alentours de 3 h 30 du matin. Mejdi R. et trois autres individus, qui n’ont pas été nommés durant l’audience, se sont rendus devant le centre Pompidou dans un fourgon à nacelle une première fois en début de soirée, mais n’ont pas pu se lancer dans leurs opérations, car «trop de badauds» étaient présents. Les quatre hommes sont donc revenus tard dans la nuit et ont procédé au sciage du panneau de signalisation, manœuvre qui a duré plus de quarante-cinq minutes. Une riveraine, réveillée par les bruits provoqués par la scie électrique, a d’abord pensé qu’il s’agissait de travaux publics, et, surprise, les a filmés.

Pour «rendre service» à un certain «M. B.»

Interpellé en mars 2020, Mejdi R. a reconnu les faits dès sa première garde à vue. Mais il affirme ne pas avoir procédé au vol pour son profit personnel, mais bien pour «rendre service» à un certain «M. B.» – autrement dit, Banksy lui-même. «Je savais le risque que je prenais dès le départ», a assumé le prévenu devant la Cour. Dans son récit des faits devant les juges, il raconte avoir rencontré l’artiste – dont l’identité et l’état civil sont à ce jour inconnus – il y a plusieurs années. Puis, «fin 2018, début 2019», l’artiste lui aurait demandé de l’aider à récupérer ce graffiti, en compagnie de quelques membres son équipe anglaise (les trois autres personnes qui l’ont accompagné dans le fourgon à nacelle).

Seule ombre à ce tableau, «aujourd’hui, c’est impossible de le prouver». «Etant donné la publicité de l’affaire dans les médias, je savais qu’il était hors de question que ni les équipes de Banksy qui étaient présentes avec moi, ni l’artiste en personne, avouent. Dans le monde du graffiti, c’est impossible, il y a des choses ne se font pas. Et les graffeurs gardent leur anonymat.» Lorsqu’une des juges assesseures lui souligne que, des quatre voleurs, il est le seul à comparaître aujourd’hui devant la justice, ce qui n’est «pas très sympa», il raille : «Je lui transmettrai.» Le tribunal a pourtant rappelé que l’artiste a démenti dans le Parisien en 2020, «être impliqué en quoi que ce soit dans le vol de ses œuvres parisiennes».

L’accusé assure n’avoir touché aucune contrepartie pour ce «service», et ne pas avoir conservé le graffiti du Rat au cutter. «C’est inexplicable pour moi de demander à une personne qui exerce une passion de faire quelque chose contre de l’argent», explique celui qui dit considérer que l’œuvre de Banksy s’inscrit dans une logique anticapitaliste.

Vols d’œuvres répétés

Mais alors pourquoi le vol ? S’il n’a «ni vision, ni décision sur ce que veut faire Banksy avec cette œuvre», il estime que c’est d’abord pour qu’un inconnu ne soit pas le premier à voler le graphe, comme cela a été le cas fin décembre 2023 à Londres, mais aussi pour qu’elle ne soit pas appropriée par le centre Pompidou ou la ville de Paris. Pour lui, «le graffiti est un art sauvage, illégal, et éphémère dans sa substance. S’il était légal, il s’arrêterait». Mais si le prévenu estime que les graffitis n’ont intrinsèquement aucune valeur, et que Banksy n’est qu’un cas isolé dans sa reconnaissance commerciale par le monde de l’art, sa défense repose davantage sur la propriété de l’œuvre.

Le panneau de signalisation du parking souterrain appartenant au musée, son avocat a demandé lors de l’audition un dédommagement de 500 000 euros en réparation du vol. Une somme particulièrement élevée si l’on ne prend en compte que le panneau, qui n’a «aucune valeur», selon Pierre-Eugène Burghardt, l’avocat de Mejdi R. La direction du musée avait par ailleurs souligné en 2019 que «par sa nature d’art de la rue, cette œuvre n’appartient pas au centre Pompidou», bien que le musée l’ait fait protéger par une vitre en plexiglas, un mois seulement avant une première tentative de dégradation ou de vol du Rat au cutter.

En 2019, le musée se désolait de n’avoir «pu porter plainte que pour la dégradation du panneau». Pour autant, le procureur a souligné dans sa plaidoirie que ce vol «prive les Parisiens depuis cinq ans d’une des rares œuvres de Banksy». Dans sa plaidoirie, Pierre-Eugène Burghardt est également revenu sur l’importance du caractère éphémère des œuvres de Banksy. En 2018, il avait broyé à moitié une de ses œuvres les plus célèbres, la Petite fille au ballon, au moment même où celle-ci venait d’être vendue aux enchères. Il avait «incorporé une déchiqueteuse à papier dans la peinture», anticipant la vente. Un événement qui avait renforcé la légende de Banksy, qui s‘est fait connaître pour son art urbain ironique et engagé.

Le procureur a demandé une peine de 18 mois d’emprisonnement, donc huit mois ferme et aménagés, ainsi qu’une amende de 50 000 euros. La décision sera prononcée au tribunal judiciaire de Paris le 19 juin.